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en a été si ravi qu’il a conseillé à sa fille, Mlle Marie Tolstoï, d’en traduire en russe les passages principaux. Et dans la dernière livraison du Messager du Nord il présente à ses compatriotes le travail de sa fille. Son article est d’ailleurs une simple notice, plutôt qu’une étude approfondie. Tolstoï raconte brièvement la vie d’Amiel : « Sa vie, dit-il, s’est passée à Genève ; elle ne s’est distinguée en rien de celle de ses collègues les professeurs d’université : de ces professeurs qui compilent mécaniquement dans les livres les matériaux de leurs leçons, et qui mécaniquement les débitent à leurs élèves, sans aucun profit pour personne. » On voit que, parmi tant de sujets où il a changé d’opinion, l’opinion du fruit-sec de Kazan est restée invariable sur l’utilité et le mérite des professeurs d’université.

Mais revenons à l’article sur Amiel : « Deux écrivains français bien connus, Edmond Schérer et Caro, ont longuement parlé d’Amiel à propos de son livre. Ils ont tous les deux vivement regretté que l’auteur d’un si beau livre n’ait pas cru devoir consacrer ses précieuses qualités littéraires à quelque travail plus sérieux. Or il se trouve que les sérieux travaux de ces deux écrivains, de Schérer et de Caro, ont à peine survécu à leurs auteurs, tandis que le Journal d’Amiel reste toujours vivant, et contribue toujours à nourrir des âmes nouvelles...

« Pascal a dit qu’il y avait trois sortes de gens : ceux qui, ayant trouvé Dieu, le servent; ceux qui, ne l’ayant pas trouvé, le cherchent; et ceux qui, ne l’ayant pas trouvé, ne le cherchent pas. Il ajoutait que les premiers étaient à la fois sages et heureux, les derniers insensés, et que les seconds, tout en étant malheureux, étaient sages. Or j’ai l’idée que la différence que fait Pascal entre les premiers et les seconds non seulement n’est pas aussi grande qu’il le croit, mais même n’existe pas. J’ai l’idée que, ceux qui vraiment cherchent Dieu, déjà ils le servent et déjà le trouvent. C’est d’ailleurs ainsi que Pascal a trouvé et servi Dieu, dans ses Pensées; et c’est ainsi que l’a trouvé et servi Amiel, car sa vie tout entière, telle que nous le voyons dans son Journal, n’est rien qu’une recherche de Dieu. Il ne dit pas : « Écoutez-moi! je tiens la vérité! » Mais la vérité est ainsi faite que dès qu’on la tient on ne croit plus la tenir, et qu’on aspire de tout son cœur à la tenir mieux. »

J’ai parlé déjà des Souvenirs de Madame Smimof, que publie, depuis un an bientôt, le Messager du Nord. Ces souvenirs ne sont, en réalité, que des notes prises au jour le jour par Mme Smirnof, au sortir de ses entretiens avec ses deux grands amis, Pouchkine et Gogol. Peut-être seulement Mme Smirnof s’est-elle un peu trop occupée, plus tard, de les mettre au point : et deux ou trois invraisemblances de détail ont failli rendre suspecte, en Russie, la série tout entière. Mais l’authenticité