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dont les rangs chaque jour s’éclaircissent et qui a de moins en moins de part aux affaires du pays ? Cela est probable. Mais de la voir disparaître nous ne nous réjouirons pas; et plusieurs qui n’en faisaient pas partie auront pour elle un mot d’adieu et l’accompagneront d’un regret. Elle n’était plus qu’une classe décorative ; au moins fut-ce un brillant décor et qu’on ne remplacera pas. Nos âmes ne sont pas encore tellement obscurcies par l’infatuation démocratique que nous soyons devenus incapables d’apprécier ce qui est délicat, raffiné et qui brille. Ses titres ne correspondaient plus à rien de réel et n’étaient qu’autant de souvenirs ; mais à mesure qu’un à un et l’un après l’autre s’en vont tous les souvenirs d’autrefois, ces souvenirs nous deviennent plus chers. Pour les services rendus jadis par leurs pères, ces gentilshommes méritaient sans doute d’être traités avec quelque indulgence. Et peut-être jusqu’aujourd’hui la noblesse avait-elle conservé une raison d’être et quelque utilité. Elle était signe et symbole de quelque chose. Elle témoignait de façon matérielle et visible, pour ainsi dire, que nous ne sommes pas un peuple né d’hier, comme ces villes d’Amérique qu’on voit tout à coup surgir au-dessus du sol où elles n’ont pas de racines. Mais nous avons, nous autres gens de France, une histoire et des traditions et nous tenons par des racines lointaines au sol sacré. Et qui sait si la noblesse n’avait pas encore un rôle à jouer? La société moderne est en rapide transformation et en profond travail. Elle n’a pas trop de toutes ses forces. La question se pose surtout entre la classe bourgeoise et la classe populaire ; et nous bourgeois, trop engagés dans la lutte, nous ne pouvons juger avec assez de désintéressement et voir assez clair dans l’avenir. Mais l’aristocratie est en dehors de la mêlée. Elle est étrangère à nos préjugés, indifférente à nos rancunes, élevée presque au-dessus de nos timidités. Elle est mieux placée pour discerner où nous allons. Peut-être lui eût-il appartenu de nous guider vers l’avenir, elle qui vient du passé, et de préparer les temps nouveaux. Idéal, si l’on veut, et chimère. Mais, puisqu’il s’agissait de renseigner l’aristocratie sur la conduite qu’elle doit tenir, c’était le cas de lui recommander une chimère qui aurait eu sa noblesse et de lui prêcher un idéal qui fût aristocratique.

La pièce est bien jouée. M. Albert Lambert est à peu près excellent dans le rôle de M. Roche. Il a de la bonhomie et de la rondeur plus que de coutume, et sa coutumière solennité est ici à sa place. M. Rameau a dessiné avec adresse la figure du socialiste Moret. M. Fenoux dans le rôle d’Henri Roche manque de souplesse et de distinction. Mme Tessandier et Mlle Rose Syma méritent d’être citées. Les autres sont convenables.


RENE DOUMIC.