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extraordinaires et ces histoires à dormir debout, c’est qu’elles diminuent d’autant la portée de l’œuvre de M. Lavedan. Eh quoi! on prétend nous indiquer la règle de conduite qu’imposent à toute une catégorie de personnes les conditions de la vie moderne et le train de notre société. Et cette vie, et cette société, c’est à travers ces imaginations fantastiques qu’on veut nous les faire reconnaître !

On peut s’étonner qu’un observateur aussi exact qu’est M. Lavedan, et qu’un écrivain à l’esprit si net, à la raillerie si aiguisée, à la a blague » si moderne, se soit complu dans de pareilles inventions. On signalerait de même, ici ou là, quelques effets un peu trop gros. M. Lavedan ne dédaigne pas au besoin le couplet ou, tout au moins, le trait patriotique. Le socialiste Moret étant venu à dire : « Il n’y a qu’un pays, » son interlocuteur complète ainsi la phrase, aux applaudissemens des bons citoyens : « Oui... la France! » Sur le mérite personnel, sur l’efficacité du travail, sur le progrès, sur les merveilles de l’industrie, sur le siècle des chemins de fer et du téléphone, on noterait des réflexions et maximes qui ne sont pas exemptes, disons... de solennité. C’est ainsi déjà qu’n était parlé dans le Prince d’Aurec des aïeux des gens de lettres qui « grattaient, pieds nus, la terre aride du moyen âge », et dans Une famille, de l’explorateur, « à la fois prêtre, savant, soldat... missionnaire civil qui s’en va nous chercher de la patrie. » Dans cette dernière pièce un vieux serviteur fidèle était chargé de consoler une jeune fille par des propos enfantins et touchans. M. Lavedan n’est pas dupe de ces beautés. Effets de surprise, tirades déclamatoires, épisodes larmoyans, il sait aussi bien que nous tout ce qu’il y a dans ces moyens d’artificiel, de convenu et, s’il faut le dire, de commun. S’il les emploie, c’est par manière de concession, et pour satisfaire aux exigences du public. Ce public n’est pas composé de purs «esprits. Il veut être ému, amusé, édifié, secoué. Il faut s’adresser à sa sensibilité; il faut réveiller sa curiosité; il faut frapper fort. Il faut... Eh bien! non, il ne faut rien de tout cela. Et c’est l’erreur de M. Lavedan comme aussi bien de plusieurs autres, de prendre pour l’essence du théâtre ce qui n’en est que la fausse rhétorique. Ce qui est essentiel au théâtre, qui y crée l’intérêt, le mouvement, l’émotion, c’est la logique. Logique des sentimens et logique des situations. Cela est vrai surtout dans une pièce qui, comme les Deux Noblesses, doit aboutir à une démonstration. Nous voulons voir peu à peu la démonstration se faire, et dans les termes même où la question a été posée par l’auteur. Nous nous fâchons chaque fois que l’auteur sort de la question et que le sujet dévie. Nous avons trop souvent, dans les Deux Noblesses, à nous fâcher pour des raisons de ce genre. Et c’est ici le défaut fondamental de la pièce.

Prenons pour exemple cette intrigue de mariage entre Henri Roche et Suzanne de Touringe. Elle tient dans la pièce une grande place; elle en est le principal ressort. C’est l’aventure tant de fois remise au