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des frais généraux du grand magasin (construction, éclairage et loyer, chauffage, employés, impôts) et aussi assurer un certain bénéfice aux propriétaires, car il faut bien que tout le monde vive, même les patrons ; mais elle se fît le raisonnement suivant : « Je ne cherche pas un bénéfice; je n’ai pas ou presque pas de frais généraux; si j’avais pu vendre directement à la clientèle les torchons que j’ai livrés aux grands magasins, j’aurais pu faire bénéficier de cet écart de prix les ouvrières que j’ai fait travailler. » De ce raisonnement si simple est née l’œuvre des mères de famille. Depuis deux ans, la sœur Saint-Antoine achète elle-même aux meilleures conditions la matière première: torchons, draps de lits, chemises communes, layettes d’enfans, jupons ordinaires; elle se charge de toutes les commandes qu’on veut bien lui faire directement, et ces commandes peuvent être faites sur échantillon dans un petit magasin qu’elle a installé au numéro 53 de la rue des Saints-Pères. Elle vend au prix des grands magasins des objets d’aussi bonne qualité, et elle fait bénéficier de l’écart que j’indiquais tout à l’heure les ouvrières qu’elle emploie, payant seize ou dix-sept sous la douzaine de torchons, dont l’ourlage est payé généralement sept sous, vingt-cinq sous les draps pour lesquels il est payé ordinairement douze sous, et ainsi pour tous les articles qu’elle fait fabriquer. Une seule chose devrait suffire pour lui assurer une clientèle, c’est la précaution qu’elle prend de faire passer par l’étuve à désinfection toutes les marchandises qu’elle livre pour les débarrasser des microbes qu’auraient pu leur communiquer les ouvrières. Par ce temps où le microbe inspire une telle terreur, il y a là une précaution qui devrait attirer au magasin de la sœur Saint-Antoine les personnes extra-prudentes.

L’œuvre des mères de famille qui a déjà fourni du travail à 534 ouvrières et leur a distribué pour 21 305 francs de salaires, ne se propose cependant pas de créer dans Paris une clientèle de lingères privilégiées qui seraient payées le double des autres. Son but est tout autre ; il est de constituer une sorte d’assurance contre le chômage en fournissant un travail rémunérateur aux femmes qui s’en trouveraient momentanément privées, soit pendant la période où leurs professions chôment habituellement, soit par suite de quelque circonstance accidentelle. En un mot, l’ambition de la sœur Saint-Antoine serait d’avoir toujours du travail à donner aux femmes qui viendraient lui en demander. Par là, l’œuvre qu’elle a créée rentre bien dans la catégorie des œuvres d’assistance par le travail, puisqu’elle se propose de substituer le travail à l’aumône. Mais pour que cette ambition soit atteinte, pour que cette œuvre si intéressante puisse prendre tout son développement, deux choses