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Saint-Antoine et M. Lefébure s’obstinent chacun des deux à en décliner l’honneur pour le rejeter sur l’autre. Ils ont mis au courant de leurs projets les membres de l’Office central qui, préoccupés également de cette question nouvelle de l’assistance par le travail, cherchaient quelque manière de l’organiser qui fût moins rudimentaire que la confection indéfinie des petits fagots. De leurs méditations communes était né un plan, celui de la création d’un atelier véritable où seraient employés non pas à un travail grossier, mais à une industrie suffisamment rémunératrice, les travailleurs de bonne volonté momentanément sans ouvrage. L’industrie choisie fut celle de la menuiserie, une courte expérience ayant révélé qu’un apprentissage de quelques jours, sous la direction d’un bon contremaître, apprenait à manier la scie, le rabot et le marteau avec assez d’habileté pour faire des caisses de toute dimension, des tables en bois blanc, des armoires de ménage et autres meubles primitifs. Mais comment se procurer le capital nécessaire à la création de l’atelier, à l’achat de matières premières et au fonds de roulement, car il s’agissait d’une véritable entreprise industrielle? C’est là un de ces embarras avec lesquels la charité ne reste pas longtemps aux prises à Paris. Une donation magnifique a permis d’acheter un terrain contigu à celui que possédait déjà l’œuvre et d’y élever des constructions auxquelles a été donné par reconnaissance le nom de fondation Laubespin. D’autres souscriptions ont fait le reste, et celui qui se rend aujourd’hui rue Félicien-David y voit fonctionner un véritable atelier de menuiserie, que rien ne distingue au premier abord d’un atelier ordinaire. Ce n’est pas un chantier où des hommes plus ou moins misérables d’aspect s’adonnent avec plus ou moins de bonne volonté ou d’humiliation intérieure à un travail assez rebutant. C’est une réunion d’ouvriers d’expérience inégale, mais adonnés tous à un travail analogue, sinon identique, à celui dont beaucoup d’entre eux devaient avoir l’habitude et qui ne les diminue pas à leurs propres yeux. Donner à ces hospitalisés du travail l’aspect et les habitudes de l’ouvrier libre est en effet une des choses auxquelles tient le plus la sœur Saint-Antoine. Elle estime qu’il faut rendre à celui qui avait peut-être pris des habitudes de mendicité et de paresse le respect de lui-même en l’assimilant à l’ouvrier ordinaire et en ne le traitant pas en prisonnier, même volontaire. Aussi la sœur Saint Antoine tient-elle beaucoup à ce que le salaire de chaque ouvrier, qui est de 2 francs par jour, lui soit remis en espèces, et payé quotidiennement. Sur ce salaire il doit prélever le prix de sa nourriture et de son coucher. Dans la maison existe un fourneau. C’est à ce fourneau que l’hospitalisé se nourrit, payant lui-même la nourriture qu’il consomme et dont il fait