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par le travail remonte à saint Vincent de Paul qui, en matière de charité et même d’aumône, passe pour avoir été de bon conseil. Un seigneur de la cour lui avait abandonné un domaine marécageux aux environs de Paris. Saint Vincent de Paul eut l’idée d’y envoyer les mendians qui s’adressaient à lui et de les employer à creuser un grand fossé. La journée de travail leur était payée 15 sols. Au bout de quelque temps, le fossé fut creusé. On vint le dire à saint Vincent de Paul et lui demander ce qu’il fallait faire. Il réfléchit un instant, puis il répondit : « Faites-en creuser un autre à côté et comblez le premier. » Un économiste trouverait peut-être à redire, et non sans raison, au procédé employé par saint Vincent de Paul;. mais l’idée de l’assistance par le travail est là, dans son principe.

Qui nous raconte cette anecdote? C’est précisément l’homme qui à l’heure actuelle aurait le droit de se vanter d’avoir inventé le mot et la chose, c’est M. Victor Mamoz. Tous ceux qui ont suivi de près depuis quelques années l’étude des questions charitables connaissent le nom de M. Mamoz. Ouvrier pendant dix-sept ans, patron lui-même pendant dix-huit (pourquoi ne pas lui faire honneur de ces débuts modestes? ), il est aujourd’hui membre du conseil supérieur de l’Assistance publique, et son opinion fait autorité en ces matières. Mêlé par ses origines et ses occupations à bien des mondes différens, il a été un des premiers à signaler le mauvais emploi des ressources de la charité à Paris et l’exploitation dont elle était l’objet. En même temps, il a pu se convaincre que la misère vraiment intéressante était moins celle qui sollicite des secours que celle qui demande du travail. Décourager l’une, venir en aide à l’autre, tel est le double but qu’il s’est proposé d’atteindre. Un service de renseignemens bien organisé suffit à défendre la charité contre l’exploitation. Mais fournir du travail à la misère est une œuvre autrement difficile, car elle a en même temps un côté économique, et il faut que l’industrie vienne en aide à la charité. Cette œuvre dépasse donc les forces d’un homme, et M. Mamoz l’a admirablement compris. Aussi s’est-il surtout attaché à faire de la propagande en faveur de l’idée; il s’en est constitué l’apôtre dans une publication spéciale, dans des entre tiens, dans des conférences, et surtout il a mis au service de cette idée une ardeur de conviction qui a fini par devenir contagieuse. Ace point de vue, son succès a été complet. Non seulement l’idée a fait fortune, mais elle est devenue à la mode. Qu’est-ce qui montre qu’une chose est à la mode? C’est quand beaucoup de personnes en parlent sans savoir au juste en quoi elle consiste. C’est précisément le cas de l’assistance par le travail. A en croire certains publicistes, la solution de la question sociale serait trouvée.