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pas autre chose à faire que l’aumône. Je ne sais quel respect humain s’est introduit depuis quelque temps dans la langue sociale qui fait qu’on n’a pas le courage de le dire, et c’est cependant la vérité. Tel journal qui, à sa première page, insère les phrases creuses que je viens de rapporter, à la troisième fait appel à la charité de ses lecteurs en faveur d’une famille pauvre et se charge de lui transmettre... leurs dons en argent. Or c’est là précisément ce qu’il faut éviter, si l’on peut. C’est un fait d’expérience que l’aumône en argent directement remise au malheureux, même intéressant, est de toutes les formes de la charité celle qui est le moins recommandable. S’il est malade, mieux vaut le faire soigner gratuitement. A supposer que le bureau de bienfaisance ne veuille le faire, les dispensaires de la Société philanthropique sont là qui s’en chargeront. Si c’est le loyer qui presse, le propriétaire n’aura certainement pas d’objection à en être payé directement. S’il faut des vêtemens, rien de facile comme de les acheter ou faire acheter pour son compte. Mais l’argent directement remis en vue de pourvoir au jour le jour à la subsistance, s’il demeure parfois une nécessité, est toujours une nécessité très fâcheuse. Il est incontestable que celui vis-à-vis duquel il a été fait usage de cette forme de secours y revient volontiers, qu’il s’accoutume à y voir une ressource ordinaire et qu’il finit par trouver qu’il est moins fatigant de vivre de secours que de travail. Par là l’aumône, même faite dans la meilleure intention du monde, à quelqu’un qui n’est pas un exploiteur, mérite cependant quelques-unes des déclamations qu’on dirige indistinctement contre elle. Aussi ceux qui pratiquent, je ne dirai pas la science, le mot me paraît un peu ambitieux, mais l’art de la charité, se sont-ils préoccupés de cet inconvénient. Ils se sont demandé s’il n’y aurait pas moyen de venir en aide au malheureux d’une façon qui serait à la fois intelligente et efficace en lui procurant le moyen de gagner sa vie quand il est en état de travailler. Le rôle de la charité se bornerait alors à servir d’intermédiaire, et l’assisté se viendrait en quelque sorte en aide à lui-même. De là est née l’idée de l’assistance par le travail, à laquelle j’arrive enfin après de trop longs prolégomènes.


IV.

Il y a peu d’idées nouvelles sous le soleil. A en croire cependant certains publicistes, l’assistance par le travail serait du nombre. Cette idée ne pouvait naître qu’au sein d’une démocratie ayant le sentiment de sa dignité et ne voulant pas devoir a l’aumône, etc. Il n’y a qu’un malheur. C’est que la première idée de l’assistance