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sur des profits qu’elles ne réalisent pas, sur des revenus qu’elles ne touchent pas, sur des accroissemens dont elles ne s’enrichissent pas. On ne me demandera pas d’exposer ici le système compliqué de mesures fiscales auxquelles M. Brisson a eu le triste honneur d’attacher son nom et qui ont trouvé dans un ancien directeur de l’enregistrement, récemment nommé ministre, un si habile metteur en œuvre. Les conséquences de quelques-unes de ces mesures étaient tellement monstrueuses que le gouvernement propose aujourd’hui de transformer le mode de leur application. Mais le principe n’en subsiste pas moins dans nos lois financières. Le Code pénal qui les empêche de naître, le conseil d’Etat qui les empêche de vivre, le fisc qui s’applique à les ruiner, telle est la trinité qui est chargée de veiller en France à la destinée des associations charitables.

On comprend facilement que pour échapper à cette trinité malfaisante un certain nombre d’associations aient essayé de vivre d’une vie à la fois légale et indépendante. Elles ont cru en trouver le moyen en se constituant en sociétés civiles. Mais encore faut-il que pour cela elles remplissent certaines conditions. Aux termes de l’article 1832 du Code civil, pour qu’il y ait société deux conditions sont nécessaires : 1° un apport commun ; 2° que cet apport ait lieu en vue de réaliser le bénéfice qui pourra en résulter. « Or, ajoute M. Béquet dans son manuel, si l’on peut à la rigueur considérer les cotisations des membres d’une association de bienfaisance comme constituant un apport commun, on ne saurait dire que l’apport est fait en vue de constituer un bénéfice. » Et il n’hésite pas à conclure que les associations charitables ne sauraient se constituer en sociétés civiles. Cette forme a été cependant adoptée dans ces dernières années par un certain nombre d’associations et surtout de congrégations religieuses pour échapper aux difficultés que chacun sait. Mais celles-là seulement ont eu recours à ce procédé qui pouvaient mettre en commun un apport sérieux, généralement quelque immeuble. Dans tous les cas la constitution en société civile est une opération compliquée, coûteuse, pouvant, à moins que les statuts ne soient très bien faits, entraîner des risques sérieux pour ceux qui acceptent d’en faire partie. Ces risques ont encore été accrus, sous certains rapports, par la loi récente du 1er août 1893 qui imprime le caractère commercial aux sociétés civiles par actions, quel que soit leur objet, et les soumet par là même à toutes les obligations des commerçans de profession. Aussi comprend-on que cette forme soit rarement adoptée dans la pratique par les associations charitables. En règle générale ceux qui veulent s’associer au nombre de plus de vingt pour faire