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membres du bureau, sans préjudice des documens spéciaux pouvant éclairer l’administration sur le mouvement du personnel et sur la situation financière, le tout sous peine de suspension ou de dissolution[1].

Nos vingt et un braves gens qui se sont soumis à toutes ces investigations, qui ont accepté toutes ces conditions, vont-ils au moins avoir la vie assurée et libre? Ont-ils conquis à ce prix une certaine garantie de durée et une certaine liberté d’action? Peuvent-ils vaquer légalement aux actes nécessaires à la vie de leur société, et dont l’accomplissement a été la raison d’être de l’autorisation qu’ils ont sollicitée? En aucune façon. L’autorisation qui leur a été accordée est une simple exception qu’ils auraient le droit d’opposer si d’aventure ils étaient poursuivis par un parquet mal informé. Elle les sauve de la police correctionnelle; pas autre chose. Pour tout le reste ils demeurent à l’état de ce que la jurisprudence appelle une société de fait, c’est à dire d’une société irrégulièrement constituée, dont tous les membres peuvent être tenus in infinitum des obligations contractées par la société. Si, ne pouvant rester sans feu ni lieu, ils veulent signer un bail, il faut que l’un des membres de la société se dévoue, qu’il loue un appartement en son nom et qu’il assume toutes les charges et toutes les responsabilités du locataire. De posséder, pour eux il ne saurait être question autrement qu’à titre précaire et par voie de simple détention matérielle de valeurs. Aucun titre ne peut valablement être mis à leur nom, et chez un banquier ou un agent de change, ce sera sous le nom d’un associé, à la bonne foi duquel il leur faut également se fier, que toute la fortune de la société devra être déposée. Quant à acquérir le plus modeste immeuble nécessaire à l’accomplissement de l’œuvre même qu’ils poursuivent en commun, il n’y faut pas songer, pas plus qu’à se défendre en justice ou à faire valoir quelque droit méconnu, à moins d’avoir recours à quelque artifice de procédure. En un mot leur association est simplement tolérée. Elle n’est pas une personne morale, vivant d’une vie juridique et propre, ayant des droits et avec laquelle il faille compter. Née du bon plaisir, elle peut disparaître parle bon plaisir, et la société de Saint-Vincent de Paul, qui s’était développée dans ces conditions,

  1. J’emprunte ces renseignemens et ceux qu’on trouvera dans le cours de cet article à un ouvrage intitulé : Régime et législation de l’Assistance publique et privée en France, par Léon Béquet, conseiller d’État. Léon Béquet, que j’ai personnellement connu et qui a été enlevé prématurément à l’affection de sa famille et de ses amis, n’était pas seulement un travailleur infatigable, mais encore un esprit libéral et généreux. Son manuel, auquel je ferai de fréquens emprunts, n’en est que plus curieux comme reflétant fidèlement l’esprit général de notre droit administratif et l’esprit particulier du conseil d’État en ce qui concerne la charité privée.