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de ce prince[1] : «... Nous avons perdu six bataillons d’infanterie dont il ne reste personne (on croit voir le tableau des ravages de l’armement moderne) ; tout le bagage de mon maistre et celuy de son armée a esté pris et pillé. Nostre perte est si proche que je ne sais pas quelle résolution on prendra. Nous marchons vers Mons, manquant de tout. L’épouvante est grande. » De Launoy n’était pas aussi fier que son prince; en tout cas, ce n’est pas le langage d’un victorieux. Et, le 16 août, l’aveu est encore plus explicite : « Son Altesse mon maistre veut essayer d’avoir sa revanche ; la perte qu’il a faite est très considérable[2]. » Enfin, au mois de novembre, quand Guillaume fît connaître aux ambassadeurs anglais, Arlington et Ossory, ce qu’il prétendait exiger de la France : « Il fallait gagner des batailles pour exiger de pareilles conditions, » répondit Arlington[3].

Les trophées ont aussi leur éloquence. Les alliés n’en avaient pas recueilli[4]. Comptons ceux qui étaient échus aux Français. M. le Prince dirigea sur les places de l’intérieur trois mille cinq cents prisonniers ramassés par ses troupes. Plusieurs personnages de distinction, blessés et pris, le prince Maurice de Nassau, le prince de Salm, le duc de Holstein, d’autres encore, eurent la permission d’aller aux eaux ou chez eux sur parole. Le marquis d’Assentar, mestre de camp général espagnol, pris après un combat héroïque, mourut de ses blessures.

Cent sept drapeaux ou étendards, enlevés à l’ennemi pendant le combat, furent portés à Versailles par Gourville (18 août), et présentés le 22 par les Cent-Suisses à Notre-Dame de Paris, où l’archevêque chanta le Te Deum en présence du Roi, de la cour et de tous les corps constitués. Te Deum de meilleur aloi que ceux de Madrid, Vienne ou Bruxelles.

Les prouesses des officiers et des soldats français remplissent les pages de la Gazette et des relations[5]... Hélas! si gros qu’il

  1. M. de Launoy au comte d’Estrades, 14 août 1674. A. C. (copie).
  2. De Launoy au comte d’Estrades, 16 août 1674. A. E. (Affaires étrangères).
  3. Ruvigny à Pomponne, 29 novembre 1674. A. E. (apud Mignet, Succession d’Espagne, t. IV).
  4. Le nombre des prisonniers ou des trophées recueillis par les alliés était au moins insignifiant; ils n’ont jamais ni produit de chiffres, ni nommé un homme de marque, ni trouvé moyen d’offrir ou d’accepter un cartel d’échange. Deux ou trois étendards furent présentés à Vienne à l’Empereur et portés à Saint-Étienne avec grand fracas. « Si nous n’avons pas ramassé de prisonniers, disent les relations publiées par les confédérés, c’est que les Allemands n’avaient pas voulu faire quartier aux Français. » L’explication est faible.
  5. L’armée qui combattait k Seneffe comptait dans ses rangs seize futurs maréchaux de France : d’abord les lieutenans généraux Luxembourg, Navailles, Rochefort, et l’aide de camp Villars; les maréchaux de camp Villeroy et Choiseul; les brigadiers, mestres de camp et colonels comte d’Ayen (futur maréchal de Noailles), Tallard, Rosen, fils du vieux Rose de l’armée de Guébriant; Montrevel (Nicolas-Auguste de La Baume); Broglie (Victor-Maurice, comte de), qui conduisit la gendarmerie pendant l’action; Marchin, capitaine aux Gendarmes de Flandre, fils du Liégeois qui fut si longtemps le lieutenant préféré de Condé ; Catinat, capitaine aux Gardes, et qu’il suffit de nommer; Montesquiou (futur maréchal d’Artagnan), aide-major aux Gardes; Bezons, des Cuirassiers du Roi; Grancey, des Gardes du corps (futur maréchal de Médavy).