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Tous les yeux étant braqués sur ce lac Tchad, les événemens du Soudan oriental passaient inaperçus. Des postes de l’Oubangui sont partis trois explorateurs français : l’infortuné Crampel, M. Dybowski et M. Maistre. Tous trois se sont dirigés vers le nord. Mais de ces mêmes postes, aucune expédition française n’a essayé d’atteindre la province équatoriale.

Nous sommes donc restés les spectateurs impassibles des efforts réciproques des Belges et des Anglais pour gagner Ouadelaï. Cette abstention n’est pourtant pas exempte de dangers. La province équatoriale est riche en éléphans, en bétail et en autruches, en grains, en caoutchouc, en coton et en café. Nous le savons, non par le rapport suspect d’un voyageur pressé, mais par le témoignage d’Européens ayant séjourné des années sur le Haut-Nil et surtout par celui du savant consciencieux qu’était Emin Pacha. Par notre désintéressement, ou plutôt notre insouciance, nous laissons donc à d’autres l’exploitation d’un territoire d’une réelle valeur économique.

Mais, portons plus loin nos regards. La question de la succession de l’Egypte dans la province équatoriale n’est pas isolée.

D’après les usages diplomatiques qui ont présidé au partage du continent africain, elle entraînera le règlement de la succession de l’Egypte, dans tout le Soudan oriental. Escomptant la désagrégation du califat mahdiste, on se partagera le Bahr-el-Ghazal et le Darfour. Or, Belges et Anglais manifestent nettement l’intention de participer avantageusement à cette succession. Comment en douter ? Violant la convention franco-congolaise, du 29 avril 1887, qui limite la zone d’action politique de l’État indépendant du Congo au 1er degré de latitude nord, les Belges se sont établis non seulement à Bangasso, mais plus loin, en amont, dans la vallée du Mbomou. D’après le traité anglo-allemand du 1er juillet 1890 la zone d’influence anglaise était étendue à l’ouest « jusqu’au versant occidental du bassin du Haut-Nil (art. Ier, § 3) ». Une autre convention signée le 18 novembre 1893, entre les deux mêmes puissances, contient l’article suivant : «Il est convenu que l’influence allemande ne combattra pas l’influence anglaise à l’est du bassin du Chari et que les pays du Darfour, du Kordofan et du Bahr-el-Ghazal... seront exclus de la sphère d’intérêts de l’Allemagne. » Ce qui signifie qu’ils feront partie de la sphère d’intérêts de l’Angleterre[1]. Si l’on n’y prend garde, toute la région du Bahr-el-Ghazal

  1. Sur une carte intitulée The political divisions of Africa (European Treaties) et insérée dans l’ouvrage du capitaine Lugard (I, 384) la limite de la zone d’influence anglaise englobe tout le Bahr-el-Ghazal et s’avance dans le Darfour. Or, cette carte a été dressée par une personne dont l’opinion fait autorité : M. Ernest G. Ravenstein, membre du Comité de la Société royale de géographie de Londres.