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La Compagnie avait donc enfin pris possession de cet Ouganda, objet de sa convoitise.

Mais Lugard ne considéra pas sa mission comme terminée par ce succès. Sûr de l’Ouganda, il lui fallait maintenant établir l’autorité de l’Ibea sur des territoires plus occidentaux. Il part donc et dans sa marche atteint Kavalli, à l’extrémité méridionale du lac Albert. On a vu plus haut qu’il y embaucha, au nom de l’Ibea, les anciens soldats d’Emin, mais ce n’était là qu’un épisode. Son expédition avait pour motif réel la pénétration dans la province équatoriale. « J’avais conçu l’espérance qu’une petite garnison bien armée pourrait se maintenir à Ouadelaï, si un fortin solide y était construit, aucune attaque des mahdistes ne paraissant présentement à redouter[1]. » Lugard avait l’intention d’embarquer sa troupe sur le Khédive et le Nyanza, les deux anciens vapeurs d’Emin, et d’établir un poste à Ouadelaï. Or, on sait que leurs carènes gisent au fond du Nil. Lugard qualifie cette perte « d’ horrible désastre » !

Il n’avait en effet ni le temps, ni les moyens d’aller à pied jusqu’à Ouadelaï : il battit en retraite. La tentative de pénétration des Anglais dans la province équatoriale avait donc échoué (octobre 1891).

Il est probable que si l’ordre avait régné dans l’Ouganda, Lugard ou tout autre officier aurait reçu de la Compagnie l’ordre de réparer cet insuccès. Mais les querelles entre catholiques et protestans ajournèrent toute nouvelle tentative d’expansion vers le Haut-Nil.

L’irritation croissait en effet entre les deux partis. Ce n’étaient que bruit et agitation, des bandes armées parcouraient les rues criant, tirant des coups de fusil et battant du tambour. Un acte de favoritisme de Mouanga, qui refusa de châtier un catholique meurtrier d’un protestant, mit les partis aux mains. Le 24 janvier 1892, des groupes de protestans et de catholiques étant en présence au pied de la colline où s’élève le fort anglais de Kampala, des coups de feu éclatèrent, et une mêlée s’ensuivit. Les protestans, d’abord vaincus, escaladent la colline pour se réfugier dans le fort. Les catholiques les poursuivent et essaient d’y pénétrer à leur suite. Le capitaine Lugard, qui prétendait rester neutre, se voit obligé d’intervenir pour se protéger, fait ouvrir le feu par ses mitrailleuses Maxim et change ainsi la face du combat. Les catholiques poursuivis par les protestans descendent les pentes de la colline, et s’enfuient en désordre. Les missionnaires

  1. Lugard, ouvrage cité, II, 212.