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qu’aux temps les plus durs des persécutions de Mouauga, ils venaient la nuit, bravant les supplices, assister aux baptêmes et aux célébrations de mariages. Les Wagandas protestans formaient donc un parti, non très puissant par le nombre, mais fort par son dévouement à ses chefs et sa solidarité.

Disons enfin un mot des catholiques.

Les premiers Pères blancs, envoyés dans l’Ouganda par le cardinal Lavigerie pour établir, selon les paroles de l’un d’eux, « le royaume de Dieu dans ces contrées où jusqu’ici le démon a régné et où il règne en maître », y arrivèrent le 17 février 1879. Sous la haute et très intelligente direction de Mgrs Livinhac et Hirth, successivement vicaires apostoliques du Victoria Nyanza, sous l’action plus directe du P. Lourdel, la mission catholique prospéra vite. Elle eut, en effet, auprès des Wagandas plus de succès que la mission protestante. En 1880, les premiers néophytes étaient baptisés. Depuis, le nombre des catholiques s’est constamment accru. En janvier 1892, trois ou quatre mille catéchumènes suivaient régulièrement les instructions religieuses données à la mission principale de Rubaga. De grands personnages se sont convertis, entre autres la sœur du roi. Trente chapelles environ avaient été construites : celle de la capitale était, pour le pays, un véritable monument de 60 mètres de long, sur 25 de large. Ces fidèles ont supporté sans fléchir les supplices qu’inventait l’imagination malade de Mouanga. Leur constance explique le titre un peu solennel que Mgrs Livinhac, dont l’esprit se reporte volontiers vers les temps apostoliques, a donné à son récit des persécutions : « Les actes des premiers martyrs de l’Afrique équatoriale[1]. »

Le danger commun n’avait pas rapproché les trois partis : Musulmans, protestans et catholiques se marquaient beaucoup d’hostilité. L’arrivée du chrétien est pour l’Arabe le signal de l’abolition de la traite des esclaves, et l’abolition de la traite, c’est la ruine. Aussi les Arabes se sont-ils opposés de toute leur force au succès des missionnaires. Ils ont essayé de détourner d’eux, par des contes effrayans et absurdes, les Wagandas crédules. Dans l’Ouganda, s’est donc livré un combat qui ne forme qu’un épisode de la grande lutte engagée sur tant de points de l’Afrique, entre la religion musulmane et le christianisme.

La haine n’était pas moindre entre catholiques et protestans. Dans les premiers temps, les missionnaires des deux religions avaient échangé de bons procédés. Mais, habituellement, ils restèrent

  1. Les Missions catholiques, 1887.