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En quittant sa chaise à Trazegnies le 12, Condé pouvait à peine parler. Cependant il pourvoit à tout, donne de longues explications verbales à Briord, qui va trouver le Roi, et il envoie un capitaine avec un fort détachement à l’abbaye de Marimont, sur la position même qu’occupait l’ennemi, pour garder le champ de bataille. M. de Souches en était si peu maître que, sur la proposition de Chavagnac, il fit demander « un passeport afin de pouvoir enterrer ses morts et retirer ses blessés[1] ». Les aumôniers et les chirurgiens des alliés se mêlèrent aux nôtres dès le 12. Beaucoup de blessés ennemis furent recueillis dans les hôpitaux français. Pendant trois jours, des corvées et de nombreux volontaires partis du Piéton parcoururent le terrain des divers engagemens depuis Seneffe jusqu’à Fayt, achevèrent de vider les voitures, en firent sortir les femmes qui s’y trouvaient en grand nombre, et finirent par brûler quatre mille chariots abandonnés, ainsi que l’équipage de pont des Hollandais.

On a beaucoup disserté sur ce point : quel est celui des deux partis qui le premier a quitté, — on ne saurait dire le champ de bataille de Seneffe, car ce bourg était déjà fort loin, — mais le lieu précis où la nuit avait trouvé en présence les deux armées qui combattaient depuis le matin ?

En réalité, il n’y eut guère d’intervalle entre le mouvement des deux partis. Peut-être même chacun des deux généraux s’est-il décidé sans connaître la résolution de son adversaire. Tous deux ont bien pu s’éloigner par un mouvement spontané, sans être pressés ni suivis. Toutefois on peut voir par ce qui précède que, si quelqu’un pouvait réclamer le champ de bataille, c’était le prince de Condé.

La version que nous avons adoptée est celle qui s’accorde le mieux avec les relations sérieuses et avec les quelques dépêches qui nous ont été conservées[2]. L’ensemble et l’esprit de ce récit sont justifiés par les incidens qui marquèrent la fin de la campagne et par certains documens contemporains. Voici par exemple ce que, du cabinet même de Guillaume, écrivait un des confidens

  1. Le comte de Souches à M. le Prince ; Mons, 16 août 1674. A. C. (Archives de Condé). — M. le Prince à Bruant des Carrières ; au Piéton, 21 août 1674. (Archives du comte de Mareuil au château de Puiseux.)
  2. L’un des plus importans documens, la lettre où le prince d’Orange rend compte de l’action à « Leurs Hautes Puissances, Messieurs les Députez des États aux Affaires Secrètes » (18 août 1674, apua Basnage, Annales des Provinces-Unies), ne contient aucune assertion qui ne concorde avec notre récit, sauf un passage dont l’obscurité ne paraît pas involontaire : « Après deux heures de combat (de nuit ? ou douze heures ?), l’ennemi s’est retiré vers son armée (camp ?)… Deux heures après, nous nous sommes rendus dans le camp que nous avions désigné avant la bataille… »