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quelques amis, forme avec eux une société, s’embarque à Trieste le 1er octobre 1884, débarque à Dar-es-Salam, parcourt l’Ousagara sur lequel il avait jeté son dévolu après la lecture d’une description enthousiaste de Stanley, conclut des traités avec les chefs indigènes et mène si rapidement sa campagne que, par un acte du 27 février 1885, l’empereur Guillaume Ier plaçait sous son protectorat les territoires acquis ou à acquérir par la Société allemande de l’Afrique orientale. Ainsi l’Allemagne était dotée de cette colonie qui n’est pas une des productions les moins étranges de son esprit universitaire.

Or, l’expédition du docteur Karl Peters eut pour conséquence inattendue la création de la colonie anglaise de l’Afrique orientale.

Les entreprises des Allemands excitèrent en effet à Londres un sentiment qui était tout juste le contraire de la satisfaction. Néanmoins, on y estima qu’il serait habile d’opposer bon visage à cette mauvaise fortune et de prendre exemple au lieu de récriminer. Le 25 mai 1885, quelques semaines après avoir reçu de la chancellerie impériale allemande notification de la nouvelle prise de possession, lord Gran ville, ministre des Affaires étrangères, ripostait donc en informant le prince de Bismarck que « quelques capitalistes considérables avaient formé le dessein de créer un établissement britannique dans la région située entre la côte et les lacs qui sont les sources du Nil blanc et de les rattacher au littoral par un chemin de fer. » Vers cette époque, en effet, quelques Anglais riches et entreprenans se réunirent, sous l’initiative d’un homme très compétent en matières africaines, M. William Mac-Kinnon, et créèrent la British East African Association avec l’intention d’exploiter le pays dont lord Granville avait vaguement esquissé les limites dans sa dépêche. Le 3 septembre 1888, cette compagnie recevait une charte. Elle devint dès lors l’Impérial British East African Company, qu’on désigne en Angleterre plus brièvement sous le nom d’Ibea, formé des initiales des quatre premiers mots de son titre. Par cette charte, la compagnie perdait quelque peu de son indépendance; mais moralement, elle était fortifiée. Une confusion s’établissait désormais entre les intérêts de la Grande-Bretagne et ceux de la compagnie. Le pays tout entier applaudissait à ses succès et se sentait atteint par ses échecs. Si la compagnie menaçait d’évacuer un territoire, la vieille Angleterre elle-même semblait battre en retraite.

Exposer les progrès des Anglais dans l’Afrique Orientale, c’est donc exposer ceux de l’Ibea. Pendant les premières années de son