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la bonne parole, en même temps que d’habiles industriels y placeraient les produits de leurs manufactures. Dans une vision attendrissante, ils se représentaient les nègres vêtus de belles cotonnades de Manchester, venant le dimanche chanter hymnes et cantiques dans le temple de Lado. Et voilà que ce beau rêve était brusquement interrompu par le plus fâcheux des réveils! Le succès des Belges surprit d’autant plus désagréablement qu’il compromettait le résultat d’un travail de plusieurs années. Les Anglais étaient sortis de la période des projets. Partis de la côte de l’océan Indien, ils s’étaient résolument avancés dans la direction du nord-ouest. La conquête de la province équatoriale leur paraissait la conclusion logique de leurs progrès.

C’est presque développer un lieu commun de géographie politique que d’exposer la position prépondérante occupée par eux, depuis plusieurs dizaines d’années, dans l’île de Zanzibar. Le commerce zanzibarite est presque totalement entre les mains d’Hindous. Grâce à la périodicité des vents de moussons, les rapports ont toujours été fréquens entre la côte orientale d’Afrique et la côte de Malabar. Or, ces marchands, gros négocians riches à plusieurs millions de roupies, ou humbles teneurs d’échoppes, restent, même s’ils sont établis hors de l’Inde anglaise, sujets britanniques. A côté des commerçans hindous, les missionnaires anglicans se sont abattus sur ce pays. Sans doute, ils n’exercent pas sur l’esprit des indigènes qu’ils instruisent une action morale bien profonde. Leurs néophytes sont des oiseaux parleurs bien appris, qui répètent, vaille que vaille, les versets de la Bible qu’on leur a serinés : mais ces enfans, devenus hommes, demeurent les cliens des missionnaires. Enfin les intérêts anglais étaient défendus à Zanzibar par un de ces agens diplomatiques qui ont tant contribué à la constitution de l’empire colonial de la Grande-Bretagne. Le consul général, sir John Kirk, exerçait sur le sultan Saïd-Bargasch, une puissante action personnelle. Il était son ami, son conseiller, et dirigeait officieusement sa politique.

En 1884, les Anglais ne possédaient officiellement rien dans le Zanguebar. Mais ils envisageaient l’avenir avec sérénité. Leur gouvernement veillait au chevet du sultan de Zanzibar, cet « homme malade » de l’océan Indien, avec la sécurité d’un légataire universel qui sent le testament rédigé en sa faveur, là, dans un tiroir, à côté du lit du moribond. Un jeune savant allemand vint troubler cette quiétude. Des études économiques et juridiques poursuivies dans les universités de Tubingen, Gœttingen et Berlin, puis un séjour en Angleterre avaient convaincu le docteur Karl Peters que des colonies étaient indispensables à l’empire d’Allemagne, il persuade