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Jusqu’à une heure avancée de la nuit, on causa affaires, « tout en buvant de la bonne bière de sorgho et en fumant des pipes ». Le résultat de cet entretien et d’autres analogues fut de placer le territoire de Bangasso sous le protectorat de l’État indépendant du Congo.

Pendant que van Gèle négociait chez Bangasso, le capitaine Roget réussissait à placer également sous le protectorat de l’État indépendant les domaines d’un autre chef indigène Djabbir dont la résidence est située en amont des chutes de Mokouangou. Nous n’avons pas à discuter, pour l’instant, dans quelle mesure les agens de l’État indépendant étaient autorisés par la convention formée entre leur gouvernement et celui de la France à s’avancer dans la vallée du Mbomou. Il importe seulement d’observer que par cette occupation du confluent de cette rivière et de l’Ouellé-Oubangui ; par la fondation très solide des postes de Yakoma, Bangasso et Djabbir, de nouveaux progrès étaient possibles dans l’est. Les Belges transportaient leur base d’opération de Léopoldville à 900 kilomètres en avant. Sur ce tremplin, ils pouvaient prendre leur élan et bondir très loin. C’est en effet à Djabbir que s’est réuni, arrivant par groupes successifs, le personnel de l’expédition van Kerckhoven, c’est là que s’est opérée la concentration (mai-juin 1891).

Cette expédition fut montée avec un grand luxe. Beaucoup de blancs y prirent part et parmi eux des Congolais éprouvés, basanés au grand soleil d’Afrique, comme Ponthier, Milz, Delanghe. Le commandant van Kerckhoven était « le type du condottiere : grand, brun, sec, taille élégante et souple, allure martiale, masque énergique et fin, éclairé d’un regard de feu, longue moustache à la d’Artagnan, retroussée crânement sur la lèvre supérieure[1]. » Ajoutez qu’il avait huit ans de vie d’Afrique derrière lui, étant parti pour le Congo le 7 mars 1883.

L’expédition van Kerckhoven est une des plus importantes qui se soient accomplies en Afrique équatoriale pendant ces dernières années. Non seulement elle est hors de pair par ses résultats politiques, mais encore elle a parcouru des régions coupées uniquement par Junker et Casati, ou même vierges de toute exploration européenne. Nous avons donc une grande appétence de détails. Mais le gouvernement de l’État indépendant du Congo entourant cette entreprise de mystère, il nous faut rassasier notre curiosité de miettes de renseignemens.

Comme l’imposaient les conditions géographiques, l’expédition

  1. Journal des Débats du 30 avril 1893.