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avec amour, fut jetée au feu, le Coran défendant de conserver de pareilles impiétés. Ayant ainsi préparé les esprits, Fadl-el-Moula Aga tenta d’entraîner tous ses soldats chez les mahdistes. Mais ils refusèrent énergiquement, se révoltèrent et mirent à mort leurs officiers. Dans leur affolement, ils commirent un acte dont les conséquences ultérieures ont été considérables. Pendant l’occupation égyptienne, deux petits vapeurs, le Khédive et le Nyanza, avaient été lancés en amont de Doufîlé et naviguaient sur le Nil et sur le lac Albert. Dans un pays où les bêtes de somme font défaut, où l’on ne peut se transporter d’un lieu en un autre que par eau, ou en suivant à pied les sentiers en zig-zag des nègres, ces deux bâtimens étaient d’une valeur inestimable. Soupçonnant les capitaines et les mécaniciens de complicité avec leurs officiers, les soldats les massacrèrent, et les deux vapeurs livrés à des incapables, sombrèrent bientôt. Les soldats de Fadl-el-Moula se dirigèrent ensuite vers le sud, pour rejoindre Selim-bey et leurs camarades.

Les anciens soldats d’Emin ne formaient donc plus que des bandes sans organisation ni discipline. Ils n’occupaient même plus la province équatoriale proprement dite, puisqu’ils campaient au sud du lac Albert. Seraient-ils même restés à cet endroit, il est évident que des Européens n’auraient rien eu à craindre de leur part. Mais ils n’y sont plus. Désireux de renforcer ses garnisons de l’Ouganda, le capitaine Lugard les a embauchés au nom de la Compagnie impériale anglaise de l’Afrique orientale et les a emmenés le 5 octobre 1891.

Les nègres indigènes seraient peut-être plus redoutables. Depuis 1889, les anciens soldats d’Emin les ont exploités sans scrupules. Des milliers de têtes de bétail leur ont été enlevés. Aussi les nègres ont-ils conçu contre ces hôtes insupportables une irritation qui se traduisait parfois sous forme d’agressions violentes. Il n’y aurait donc rien de surprenant à ce que par exaspération ils confondissent tous ces étrangers. Égyptiens ou Européens, dans une haine commune et que, sans distinction, ils les traitassent tous en ennemis.

Néanmoins, une résistance acharnée de leur part, une lutte sans merci, seraient en désaccord avec quelques remarques que suggère l’histoire antérieure de l’Équatoria.

Ces populations se résignent facilement à une domination étrangère. Depuis trente ans, leurs misères sont continues, et cependant elles ne se sont que rarement livrées à des représailles. Leurs malheurs ont commencé avec l’arrivée des marchands d’esclaves qui, depuis 1860 environ, se sont abattus sur le pays avec