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Emin y était retenu par le désir de continuer ses travaux scientifiques ; mais, en présence de cette mutinerie, la prudence lui conseillait de suivre Stanley. C’est ainsi que le 10 avril 1889, il se dirigeait vers Zanzibar, au milieu d’une caravane qui cheminait lentement sur le haut plateau surplombant le lac Albert.

Par la renonciation formelle du khédive, par le départ du gouverneur Emin-Pacha, tout lien officiel était rompu entre les pays du Haut-Nil et le gouvernement du Caire. La succession de l’Égypte dans la province équatoriale était ouverte.

Des héritiers se présentèrent bientôt. Allemands et Anglais, ne manquant pas l’occasion d’invoquer la théorie élastique de l’hinterland, affectèrent simultanément de considérer la province équatoriale comme le complément indispensable de leurs établissemens respectifs sur la côte orientale d’Afrique. Cependant les premiers, déjà aux prises avec des difficultés dans leurs propres territoires, se désistèrent bientôt. Par la convention anglo-allemande du 1er juillet 1890, l’Equatoria était laissée hors de la zone d’influence allemande. Aussitôt les géographes de Londres, ces éclaireurs de la politique coloniale anglaise, représentèrent la province, sur leurs cartes, comme appartenant à la zone d’influence britannique. Cependant les Anglais n’en ont jamais pris effectivement possession. Aucun d’entre eux ne s’est avancé plus loin que l’agent de la Compagnie impériale anglaise de l’Afrique orientale, ce capitaine Lugard, qui s’est acquis une fâcheuse notoriété par la façon cavalière dont il a traité les missionnaires français établis dans l’Ouganda. Il n’a pas dépassé l’extrémité méridionale du lac Albert. Mais un autre prétendant a surgi : l’État indépendant du Congo, qui ne reconnaît pas le traité anglo-allemand du 1er juillet 1890.

Les Belges ont fait si grande diligence qu’une expédition, commandée à son départ de Léopoldville par le capitaine van Kerckhoven, a atteint Ouadelaï, sur le Nil. Belges et Anglais prétendent donc également succéder aux Égyptiens dans la possession de la province équatoriale. Cette compétition forme actuellement une grave question de politique africaine. Les progrès des Belges, depuis la côte de l’océan Atlantique jusque dans la province équatoriale ; ceux des Anglais de la côte de l’océan Indien jusqu’aux confins de la même province, lui ont donné naissance. Notre intention est d’exposer ici l’histoire de ces progrès respectifs.

Mais l’état politique du pays ne s’oppose-t-il pas à son occupation par les Européens ? Tel est le premier point, qu’il nous paraît nécessaire d’étudier.