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deux bataillons des Gardes suisses arrivaient, encore intacts, précédés de leur vieille réputation. M. le Prince leur prescrit de déloger l’ennemi de l’obstacle naturel qui arrêtait tous les mouvemens ; mais le feu était si vif et le terrain si défavorable que les Suisses ne purent traverser la ravine. Leurs mousquetaires s’embusquèrent sur le bord et entretinrent le feu contre ceux qui tenaient l’autre côté. L’aile droite de l’armée française se trouve ainsi arrêtée à l’ouest du village, conservant une partie des positions qu’elle avait d’abord conquises, en face d’un adversaire nombreux et solidement établi. Rien à faire de ce côté, si ce n’est tenir ferme sans reculer.

Changeant aussitôt son plan, M. le Prince renonce à forcer la ravine; vers l’ouest et le nord du village, il se borne à observer, à contenir l’ennemi; tout son effort va se porter sur la gauche. M. de Navailles avait déployé laborieusement huit bataillons, soutenus par quinze ou seize escadrons, dans un terrain accidenté, boisé, plein de sources et de prés marécageux, à l’est de Fayt. Il est renforcé. A l’extrémité de la ligne, La Motte[1] conduit Royal des Vaisseaux et les Fusiliers du Roi, qui n’ont pu amener leurs pièces, mais qui, pourvus d’un armement supérieur, forment une véritable élite. Soutenue par quatre escadrons de la Maison du Roi et six escadrons de cavalerie légère, la brigade La Motte « fait des merveilles », repousse les charges de douze escadrons, défait quatre bataillons, recueille nombre de prisonniers et pousse jusqu’à une grosse haie entre La Hestre et La Basse-Hestre. Un feu vif et soutenu arrête nos gens à cette haie, où ils restent embusqués. Au delà, au-dessus d’eux, sur la hauteur, on voyait des masses d’infanterie et de l’artillerie.

La nuit trouva l’armée française ainsi postée, maintenant le feu partout, sans avancer ni reculer, formant une ligne brisée, orientée du nord-ouest au sud-est sur un front d’environ 1 800 mètres, la droite s’étendant jusqu’à la haie de Rœulx, derrière la ravine, le centre dans les vergers et les premières maisons de Fayt, la gauche au-dessus de La Basse-Hestre[2]. Les masses de l’armée alliée présentaient un front plus étendu, presque parallèle, mais plus régulier, la gauche vers la haie de Rœulx, la droite vers la pointe des bois de Marimont, le centre dans un terrain découvert dont la cote 170 marque le point culminant. Presque partout, les alliés ont le commandement. Ils couvrent

  1. La Motte (Charles Guillaud, comte de), capitaine au régiment de Condé, avait suivi M. le Prince aux Pays-Bas. Lieutenant-colonel du régiment d’Anguien lors de son rétablissement (26 octobre 1667), colonel-lieutenant du même régiment (8 avril 1672), enfin brigadier d’infanterie, il continua de servir avec éclat, devint maréchal de camp, grand bailli de Cassel, lieutenant général, et fut tué en Catalogne en 1684.
  2. La Basse-Hestre, environ 1 300 mètres sud-est de l’église de Fayt.