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de quitter les quartiers et de rebrousser chemin, mais sans hâte et par échelons.

Ainsi toute l’armée alliée, les troupes fraîches qui revenaient sur leurs pas, comme celles que M. le Prince menait battant depuis le matin, allaient se trouver groupées autour du village de Fayt par un mouvement général de « face en arrière en bataille ». C’était l’ensemble de ces marches, contremarches, en avant, en arrière, en tiroir, aboutissant à un alignement nouveau, qui de loin pouvait ressembler à une accélération de retraite, et que le coup d’œil précoce de Villars avait bien apprécié. La position est formidable; mais les alliés ne l’ont pas encore complètement occupée; elle deviendra inattaquable si M. le Prince s’arrête; ou bien l’ennemi débouchera, s’étendra, enveloppera les Français; il va l’essayer tout à l’heure.

Le « chemin royal », après avoir traversé le Prieuré-Saint-Nicolas, s’élève doucement à flanc de coteau, et, à plus d’un quart de lieue[1], atteint l’église de Fayt[2], dont le clocher servait, depuis le matin, de point de direction aux deux armées; c’est le réduit du village. Les maisons, généralement solides et bien bâties, sont éparses sur un plateau ondulé et assez élevé qui s’élargit et se découvre vers le sud. Autour du village, une ceinture de vergers, de jardins, avec de grosses haies et de bons murs, qui forment autant d’obstacles et donnent à la défense de solides points d’appui. Le pays, jadis couvert de forêts, comme l’indiquent les noms de villages et les lieux dits La Hestre, La Basse-Hestre, et même Fayt[3], était encore fort boisé alors, surtout à l’ouest et au nord : haie de Rœulx, bois de Haine. Également à l’ouest, mais plus près du village, le château de l’Escaille[4]. De ce côté, entre le village et les bois, serpente une ravine, bordée de broussailles et difficile à traverser, qui jouera son rôle dans la journée. Beaucoup de houblonnières, avec leur fouillis, surtout vers l’est, où elles se mêlent aux sources, aux prés marécageux, sur des pentes assez raides et accidentées.

Les troupes impériales, dont les échelons achevaient lentement de se distribuer sur la position que nous venons de décrire,

  1. Environ 1100 mètres.
  2. Nouvellement rebâtie, l’église actuelle de Fayt occupe l’emplacement de l’ancienne.
  3. Le mot Fayt qui, en wallon, se prononce Fa-ï, paraît être un dérivé de fagus (hêtre), et, selon d’autres, de « faîne », fruit de cet arbre, qui était évidemment jadis l’essence dominante dans la région. — Nous n’avons pas besoin de rappeler que, pour retrouver l’état de lieux que nous décrivons, il faudrait remonter au delà de deux cents ans. — Voir la Notice historique sur Fayt-les-Seneffe, par Jules de Soignies.
  4. Environ 400 mètres nord-ouest de l’église. Ce château jalonne la tête de la ravine, encore fort reconnaissable aujourd’hui.