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que la buffleterie, s’écrie Gouvion-Saint-Cyr ; jamais je n’ai rien vu de si martial. » — « Nos soldats n’ont plus aucune parure, écrit M. le Duc; mais ils ont l’air joyeux et n’ont aucune crainte de rencontrer l’ennemi. »

Mais cette admirable infanterie, faut-il l’engager dans une bataille que l’on peut éviter, lorsque, déjà si inférieure en nombre, elle est exposée à n’être pas soutenue ! « La ruine extraordinaire de notre cavalerie fait des progrès effrayans ; nombre de nos excellens cavaliers sont démontés[1]. » Les chevaux qui restent ne tiennent plus sur leurs jambes. L’artillerie n’est pas mieux traitée; attelages étiques et insuffisans. Après la moindre marche, on ne pourra ni faire charger les escadrons ni traîner les pièces.

M. le Prince s’est laissé canonner tout un jour (quoiqu’il n’eût que quelques canons légers pour répondre à 50 pièces bien servies et bien attelées), afin de compter lui-même les bataillons et les escadrons des ennemis. Il ne faut pas se faire illusion sur leur force, qui augmente tous les jours. « Je croy que leur précipitation à lever le siège de Haguenau a esté dans l’apréhension que je me misse entre Strasbourg et eux, et que par ce moyen je ne leur coupasse les vivres, et non par la crainte qu’ils ayent eu d’un combat[2]. » En somme, « il n’est pas du service du Roy de hasarder beaucoup après le malheur de M. de Créqui »[3]. Et cependant Condé aurait « hasardé beaucoup » pour sauver Haguenau. En fournissant au magistrat de Strasbourg l’occasion de se montrer indiscret, il a pu atteindre son but sans coup férir.


VI. — AU CAMP DE CHATENOIS. — NOUVEAU DÉSASTRE A TRÊVES. — SAVERNE ATTAQUÉE ET DÉLIVRÉE.

Le péril imminent est conjuré. Hors les cas imprévus, M. le Prince ne livrera bataille que sur l’ordre exprès du Roi[4]. Mais il ne saurait permettre aux Impériaux de se répandre et d’envahir la Haute-Alsace ; la tâche est malaisée lorsque la guerre ne peut pas être reportée sur la rive droite du Rhin. « M. de Turenne comprenoit si bien ce que je dis[5] qu’il n’a pas fait difficulté de risquer cent fois cette année la perte de l’armée plutost que de se résoudre à repasser le Rhin, jugeant bien qu’il estoit impossible,

  1. M. le Prince à Louvois, 28 août. A. C. (minute).
  2. Ibidem.
  3. M. le Prince à Louvois, 20 août. A. C. (minute autographe).
  4. M. le Prince à Louvois, 28 août. A. C. (minute).
  5. Le même au même, 20 août. A. C. (minute).