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LA DERNIÈRE CAMPAGNE
1675[1]


I. — DISTRIBUTION DES ARMEES. M. LE PRINCE AUX PAYS-BAS (MAI-JUILLET)

« Tant qu’il reste un soldat de l’Empire en Alsace, disait Turenne en reprenant le service l’année précédente, un homme de guerre français n’a pas le droit de se reposer. » Aujourd’hui les Impériaux ont repassé le Rhin : Turenne revient avec plus d’insistance que jamais à ses pensées de retraite. Depuis la mort de sa femme, ses sentimens religieux, souvent voilés par les mouvemens d’un cœur passionné, avaient pris une force nouvelle; le souci d’une autre vie, de la destinée éternelle des êtres qu’il avait aimés sur la terre, agitait son âme; le dogme consolateur de l’Église catholique qui permet de prier pour les morts fut un des fondemens de sa conversion. Veuf en 1666, il s’était, deux ans plus tard, séparé de l’Église réformée, gravement, dignement. Toujours robuste, sa santé lui donnait quelques avertissemens ; la goutte se faisait sentir, et la lassitude était plus difficile à surmonter. « Je veux mettre un intervalle entre la vie et la mort, » avait-il dit au cardinal de Retz, et il parlait de se retirer à l’Oratoire.

De son côté, M. le Prince, repris par ses douleurs, souvent condamné à l’inaction, ne pouvant pas compter toujours sur le répit qui lui avait permis de conduire le combat à Seneffe, désirait échapper à la responsabilité du commandement et du maniement des troupes sur le terrain, fonction que son caractère, son tempérament, ses habitudes ne lui permettaient pas de déléguer à

  1. Extrait du tome VII de l’Histoire des princes de Condé.