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détournées des affaires de l’Europe centrale pour ne plus regarder que du côté de l’Asie ou des Balkans, n’a pas été de leur part une attitude politique dont nous ayons eu beaucoup à nous féliciter. Le mariage du césarevitch, à ce point de vue, n’a rien qui nous déplaise.

On nous accuse trop souvent d’apporter dans nos relations avec nos amis une humeur exclusive et jalouse, dont les exigences peuvent devenir pour eux incommodes. Ce reproche est bien injuste. Nous ne demandons pas à la Russie de sacrifier ses intérêts aux nôtres, mais seulement de les concilier avec eux sur les points où ils sont naturellement d’accord. Que la Russie fasse d’ailleurs un traité de commerce avec l’Allemagne, nous en sommes enchantés pour elle si ce traité lui est favorable. Qu’elle en fasse un autre avec l’Autriche-Hongrie, nous éprouverons le même sentiment. Que le prince héritier épouse une jeune et charmante princesse, nous lui souhaiterons tout le bonheur dont il est digne et nous bannirons de nos esprits toute autre préoccupation. Il faudrait, au surplus, avoir oublié l’histoire pour accorder aux mariages princiers une importance politique dont les événemens ultérieurs se jouent le plus souvent avec une impitoyable ironie. Les exemples en sont si nombreux qu’ils se présentent à tous les esprits : nous nous garderons d’en citer aucun. Si les mariages de ce genre devaient assurer la paix, il y a plusieurs siècles qu’on n’aurait pas vu de guerre en Europe, et ce n’est assurément pas la France qui aurait eu à le regretter le plus.

En Égypte, le ministère Riaz-Pacha a donné sa démission : il a été remplacé par un ministère Nubar-Pacha. Ce double mouvement n’a étonné personne. On savait, depuis quelque temps déjà, que le ministère Riaz était profondément ébranlé et condamné à une chute prochaine. Quant à Nubar, après une longue absence du pouvoir, son tour semblait venu d’y rentrer. Il attendait l’événement sans impatience apparente, et n’a pas manqué d’en profiter. Les télégrammes arrivés du Caire disent que son ministère est mal accueilli par la presse indigène. Cela non plus n’a rien de surprenant. Nubar, qui est Arménien et non pas Égyptien, n’a jamais été ce qui s’appelle populaire. De plus, si on le sait habile, on n’a pas grande confiance dans l’énergie de son caractère : il vit au jour le jour, sans principes arrêtés, se pliant aux circonstances. Il avait besoin, pour remonter au pouvoir, de l’adhésion de lord Cromer, peut-être même de son concours, et il n’a rien négligé pour se les assurer. Plein d’esprit d’ailleurs, et certainement un des hommes politiques les plus vraiment distingués que l’Orient ait produits, il est fertile en ressources, se décourage difficilement et use, sans parti pris, de vingt moyens différens pour atteindre son but. En Europe, son retour aux affaires a produit une meilleure impression qu’en Égypte même : on l’attend toutefois à l’œuvre avant de se prononcer définitivement.