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à armer. On ne tient aucun compte de l’effort menaçant que vient de faire l’Allemagne pour développer encore sa puissance militaire, non plus que des difficultés peut-être sans issue auxquelles s’expose l’Italie plutôt que de diminuer, même de quelques centaines de mille francs, les dépenses qu’elle prodigue pour son armée et pour sa marine. Il n’y a d’autre trouble-fête en Europe que la France; sans elle les peuples, comme leurs souverains, se jetteraient dans les bras les uns des autres. Paix et hyménée serait la devise du monde nouveau.

Nous ne perdrons pas notre temps à repousser les reproches qu’on nous adresse. S’il y a en Europe une nation qui aime la paix et qui en désire le maintien, assurément c’est la nôtre. Tout le monde le sait; et la Russie l’a compris mieux que personne lorsqu’elle s’est ostensiblement rapprochée de nous, afin de rétablir l’équilibre des forces rompu au profit de la Triple Alliance. Le véritable danger de guerre était là : l’empereur Alexandre, en nous tendant la main, a fait ce qu’il était possible de faire pour le conjurer. Il marie aujourd’hui son fils à une princesse allemande et l’on cherche, d’une manière trop apparente pour être habile, à provoquer à ce sujet nos susceptibilités ou nos craintes. On n’y réussira pas. Il faut bien que le césarevitch se marie, et, comme nous n’avons pas de princesse à lui offrir, il nous importe infiniment peu qu’il épouse une Allemande, ou une Autrichienne, ou une Anglaise. Il aurait pu aussi épouser une princesse appartenant à un pays moins important, ou à une famille moins riche en relations souveraines. On avait parlé, par exemple, d’une fille du prince Nicolas de Monténégro. Assurément ce mariage n’aurait eu rien d’inquiétant pour nous, mais peut-être n’en aurait-il pas été de même pour tout le monde. L’Autriche en aurait sans doute pris ombrage. Malgré les gages si nombreux et si probans que l’empereur de Russie a donnés de son esprit pacifique, le mariage de son fils avec une princesse monténégrine aurait été interprété comme le premier acte d’une politique active et entreprenante dans les Balkans. En a-t-il jamais été sérieusement question? Nous n’en savons rien : en tout cas il est aisé de comprendre qu’on y ait renoncé. Quant au mariage allemand, en quoi nous alarmerait-il? La jeune princesse de Hesse, en épousant le césarevitch, perd sa nationalité, comme elle renonce à sa religion : elle devient et elle restera Russe, elle adoptera et elle fera passer avant tout les intérêts de sa nouvelle patrie. Si elle ne se désintéresse pas de l’ancienne, comme cela est naturel et probable, et si elle a sur son auguste époux toute l’influence qu’elle mérite d’exercer, peut-être arrivera-t-il que la Russie, comme elle l’a fait si longtemps et parfois si utilement, s’intéressera aux affaires allemandes plus étroitement que dans ces dernières années. Pourquoi verrions-nous d’un mauvais œil cette conséquence? Qui sait si elle n’aurait pas des résultats heureux? L’espèce de détachement avec lequel la Russie et l’Autriche se sont