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découvre le palais, et je lui dis : « Quel est votre rêve? » Il s’arrêta et me montrant le pavillon de l’Horloge, il répliqua, avec une sorte d’exaltation que je ne lui connaissais pas : « Le maître de la France est là; eh bien! je voudrais être le maître de ce maître. « 

Il y a commencement à tout. On lui offrit un poste diplomatique, une mission à Washington; il accepta. Le 12 juin 1870, il était nommé, et quelques jours après, on le recevait en audience de départ. Une lettre de Gambetta avait paru le matin. — « C’est la République prochaine, dit l’empereur. — Que voulez-vous, sire! Il y a là trois ou quatre gouvernemens qui attendent, le chapeau à la main, la grande faute qui leur permettra d’entrer. » Ce qui le frappa surtout, c’est que Napoléon III avait sur sa table la France nouvelle, et qu’il déclarait vouloir la paix : « Nous ne pouvons affronter la guerre que les mains pleines d’alliances. « Son dernier mot fut ; « Terminez l’affaire des tarifs, et revenez prendre votre place dans le gouvernement. » Ce rallié de la dernière heure n’ignorait pas les jugemens rigoureux que portaient sur sa palinodie des hommes à grands principes qui, moins heureux que lui, avaient tendu la main et n’avaient rien reçu. Il engageait ses amis à ne point s’émouvoir des niaiseries qui se débitaient à son sujet : « Ces choses-là ont bien peu d’importance. Le temps est un galant homme qui rend justice à tout le monde. Ceux qui crient le plus haut comprendront mieux un jour... Je tâcherai, disait-il encore, pour me revancher de leur mauvaise volonté, de faire que tout aille assez bien pour qu’ils en entendent parler. » L’occasion s’était offerte à lui de donner sa mesure ; il l’avait saisie au vol. Mais en débarquant en Amérique, il y trouva un télégramme annonçant que la guerre entre la France et la Prusse éclaterait avant peu. Il lui vint aussitôt de sinistres pressentimens, et il eut comme une vision de Sedan.

« On a cherché à sa mort, dit M. Gréard, des explications diverses : l’accueil réservé des Américains, la froideur presque malveillante du personnel de la légation française, les difficultés auxquelles se heurta dès l’abord son inexpérience diplomatique pour le règlement de la neutralité, une insolation, un jeûne prolongé, un trouble dans la circulation du sang, dont les premières atteintes s’étaient manifestées l’hiver précédent. » Le mal était plus profond et plus ancien. L’homme qui se tue fait une telle violence à la nature humaine que cet acte de folie raisonné doit avoir été préparé de loin ou par des fatalités ataviques ou par des troubles cérébraux, ou par le retour fréquent, obstiné de certaines pensées, qui prennent tant d’empire sur l’esprit qu’il ne songe plus à les discuter. Prevost-Paradol se plaisait à discourir sur le néant de toutes choses ; il semble qu’il ait passé sa vie à s’apprivoiser et à faire amitié avec la mort. — « Quelle vie splendide que celle de Dieu-Océan, toujours nouveau et toujours éblouissant! Quand ma petite vague