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de Seneffe, débouche derrière les escadrons de la brigade Tilladet. Rochefort est en tête avec sa compagnie et celle de Noailles[1]; il est heureux et fier de faire « travailler » devant son prince et son général ces Gardes du corps qu’il a choisis, formés, instruits avec tant de soin.

A peine a-t-il dépassé la droite de notre cavalerie légère qu’il découvre la grosse cavalerie des ennemis en bataille sur un terrain ondulé un peu au-dessus de Seneffe, en avant du château et des bois de Buisseret. M. de Vaudemont a rectifié sa position pour soustraire ses cavaliers au feu de l’artillerie française. Trois escadrons se détachent et font face à Rochefort, mille chevaux contre cinq cents ! Encore l’ennemi aurait-il pu engager plus de monde sans les chemins creux qui coupaient et limitaient le terrain. Rochefort n’attend pas le choc et charge sans compter; la mêlée fut chaude; mais l’avantage allait rester au nombre, lorsque M. le Prince déploie sur la droite les autres compagnies des Gardes du corps et les chevau-légers de la Garde, sans attendre les Gendarmes et les Cuirassiers, qui arrivent à la file et resteront en réserve[2]. Vaudemont engage aussitôt les deux tiers de son monde ; environ trois mille de ses cavaliers sont aux prises avec deux mille Français; mais l’élan donné par M. le Prince est irrésistible ; tout plie devant lui ; les gros escadrons des confédérés sont renversés les uns sur les autres.

Le prince lorrain a encore l’avantage du nombre ; il court à sa troisième ligne pour faire charger ses escadrons frais pendant que les Gardes du corps se remettent en ordre et avant que les Gendarmes n’arrivent. À ce moment, Fourilles, qui achevait son mouvement tournant et venait de défaire l’escorte des voitures, se présente sur le flanc des escadrons ennemis. Ce fut décisif. Tous ces cavaliers de diverses nations, se sentant peu soutenus, mal encadrés, se méfiant les uns des autres, ne veulent ni charger, ni attendre le

  1. La première compagnie des Gardes du corps, «Gardes écossais », portait le nom de son capitaine, le duc de Noailles, non présent. La quatrième compagnie était commandée, depuis 1669, par le marquis de Rochefort, que nous voyons charger à sa tête. Elle prit plus tard le nom d’Harcourt.
  2. Gardes du corps, seconde compagnie, Luxembourg; troisième, Béthune; depuis 1671, celle-ci avait pour capitaine le duc de Duras. — Il est remarquable que les capitaines des trois compagnies françaises, duc de Luxembourg, duc de Duras, marquis de Rochefort, avaient suivi Condé en exil. A Seneffe, les Gardes du corps formaient huit escadrons commandés par Chazeron (François de Monestay), lieutenant des Gardes, mort lieutenant général en 1697. Les chevau-légers de la Garde étaient conduits (le capitaine duc de Luynes absent) par le sous-lieutenant Henri Balzac, marquis d’Ailly, qui fut tué à la tête de sa compagnie; ils étaient compris dans les dix escadrons formés par le corps de la Gendarmerie, ainsi que les Gendarmes du Roi, commandés par le capitaine-lieutenant prince de Soubise, blessé. Les Cuirassiers du Roi, trois escadrons, de récente formation et déjà haut placés dans l’estime de l’armée, étaient conduits par le mestre de camp-lieutenant comte de Revel (Charles de Broglie), blessé dans l’après-midi.