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PREVOST-PARADOL
ET SES LETTRES CHOISIES

Dans l’attachante étude qu’il a consacrée à Prévost-Paradol, M. Gréard a tracé d’une main amoureuse le portrait d’un homme dont il avait été le camarade d’études, le confident, et plus d’une fois le consolateur. Avec ce portrait, il nous a donné un choix de lettres inédites, où, comme il le dit, l’auteur de la France nouvelle nous apparaît « dans la droiture et la fougue de sa nature passionnée, dans la spirituelle et merveilleuse souplesse de son talent[1]. » M. Gréard nous devait ce livre. Personne n’avait été plus étroitement lié avec le brillant écrivain pour qui la destinée s’est montrée tour à tour si clémente et si dure ; personne n’avait pénétré plus avant dans l’intimité de cet esprit charmant et superbe, à qui il en coûtait de se livrer.

Il avait fait connaissance avec lui sur les bancs de l’école, et dès la première heure il s’était senti attiré vers cet adolescent à la taille élancée, au regard \iî et ardent, qui alliait l’enjouement à une gravité précoce et, quand il lui plaisait, la grâce à l’autorité. Dès la première heure aussi, il avait conquis sa sympathie et sa confiance. Il devint l’ami à qui l’on dit tout, ses joies, ses espérances et ses douleurs. Le jour où l’Académie française décerna le prix d’éloquence à son éloge de Bernardin de Saint-Pierre, Prevost-Paradol écrivait à son cher Ottavio : « Victoire! j’ai le prix tout seul, tu entends, tout seul. Es-tu en état de me faire dîner au Palais-Royal? J’ai douze sous à moi. » Quelques mois auparavant il disait : « Je suis mécontent de moi et de l’univers. J’ai ici un trésor dont j’abuse. C’est Gréard, mon refuge ; je suis toujours pendu à son bras. Je l’étourdis de mes lamentations et de mes

  1. Prévost-Paradol, étude suivie d’un choix de lettres; Paris, 1894, librairie Hachette.