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capolavoro dans la coquinerie. Aussi bien, leurs mots n’ont pas le même poids que les nôtres : ils sont plus légers, et pleins de pardon.

La cour d’Imola, très magnifique au début, tant que durèrent les ressources tirées de Rome par le capitaine-général de l’Eglise, fut plus tard réduite à une sévère économie. Catherine employait le plus clair de ses revenus à fortifier et à bien munir les châteaux qui gardaient ses villes. La passion des arts et des lettres, aimable luxe de tant de cours voisines, ne mordit qu’incidemment sur cet esprit tout occupé de politique et de guerre : le mécénat ne fut jamais son affaire. Melozzo da Forli et Palmeggiani, artistes locaux, ont représenté leur dame sur les fresques des sanctuaires : elle ne chercha pas à attirer des peintres plus illustres. — De tous les Grecs lettrés auxquels on faisait si grand accueil chez les princes, un seul échoua à Imola, Marullo Tarchianota : homme docte et poète, il servait comme soldat dans la citadelle, soit par un inique oubli de la fortune, soit, comme on le disait, par dévoûment passionné à la Madone de Forli. N’oublions pas Leone Cobelli, chroniqueur attitré de l’Etat, source abondante de renseignemens pour l’historien de Catherine. Ce Cobelli, musicien, maître de ballet, barbouilleur de peintures, grand bavard et grand curieux, est une figure amusante ; il a le génie du journalisme : entend-il un bruit dans la rue, il laisse son dîner, descend et prend ses notes. Pas de conjuration, d’émeute, de bel assassinat sans lui : on le voit toujours au premier rang de la foule; il se glisse jusque dans la forteresse, il devient héroïque pour les besoins de l’information. Dans quelques-uns de ses récits, la candeur épique et l’accent de satisfaction professionnelle font penser aux grands reporters de notre âge.

Très peu enclin à l’étude contemplative, l’esprit pratique de Catherine s’appliquait plus volontiers aux recherches qui lui représentaient une utilité immédiate. On a d’elle une sorte de livre de raison, publié après sa mort sous ce titre : Les expériences de l’illustre Dame Catherine de Forli. C’est un volumineux recueil de recettes pour l’hygiène et la toilette, avec un peu d’alchimie. On y trouve quelques élixirs à transmuter les métaux, à dissoudre les perles, à rendre plus pesans les ducats; des formules de bons poisons lents et des remèdes contre toutes les maladies. Mais la majeure partie de ces recettes est groupée sous la rubrique habituelle: Pour se faire belle. C’est une infinité d’essences et de poudres, extraites des pierres, des simples et des animaux, pour blanchir le visage, raffermir les chairs, diminuer les seins, donner de l’éclat aux yeux, teindre les cheveux plus blonds que l’or et les faire croître jusqu’à terre. Ils repousseront même sur le crâne le