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Jamais le pur soleil, naissant au pied des ormes,
Ne vit pareil désastre entre deux camps rivaux,
Tant d’arbres abattus sur les débris informes.
Dans cet écrasement d’hommes et de chevaux.

Les vaillans avaient-ils déployé leurs bannières
Pour l’intérêt d’un peuple ou la cause d’un roi.
Pour un humble ruisseau limitant les frontières?
Les chroniqueurs du temps n’ont jamais dit pourquoi.

Et Jeanne d’Arc, la bonne et pieuse Lorraine,
Qui, sur un cheval blanc, lancée à corps perdu,
De la Patrie en deuil fut jadis la marraine,
Eût pris en grand’pitié tout le sang répandu.


CRÉPUSCULE D’HIVER


En se couchant au fond de la grande avenue,
Le soleil disparaît dans un ciel pourpre et noir:
Et, de la tête aux pieds, la haute forêt nue
Profondément tressaille au premier vent du soir.

Déjà tout est bien mort : plus une feuille aux branches,
Plus un chant dans les bois, plus un vol dans les airs;
Seul, le gui parasite avec ses perles blanches
Jette un peu de verdure autour des nids déserts.

Le bûcheron se dit que l’hiver sera rude
Et regagne à pas lents son gîte pour la nuit.
Le silence envahit la froide solitude...
Mais un dernier écho parfois répand son bruit...

Un bruit vague, un bruit sourd, montant des marécages...
Quelle est donc cette grave et lointaine rumeur?
Ce sont de grands troupeaux qui rentrent des pacages,
Saluant d’un adieu triste le jour qui meurt.


ANDRE LEMOYNE.