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son esprit brillant, sa haute mine ; il avait fait ses premières armes auprès de Condé, en 1668, en Franche-Comté, et venait de combattre, en cette même année 1674, dans le même pays, mais de l’autre côté. C’était le fils du duc de Lorraine et de la Cantecroix, en fait un bâtard, comme Saint-Simon se donne le plaisir de le répéter souvent. Ni cette origine, ni la qualité de prince étranger qu’il s’attribuait n’étaient faites pour lui nuire auprès de Louis XIV ; mais il voulut s’ouvrir dans la chambre des filles un accès que le Roi entendait se réserver, et cela déplut. Le changement ne gênait pas le fils de Charles IV ; il prit parti chez les Espagnols, prêt à passer au service de l’Empereur, et bien accueilli partout, car il était brave et bon officier, enfin se consolant d’avoir perdu l’amitié du roi de France en acquérant celle du prince d’Orange : ce ne sera pas sa dernière évolution, mais c’est celle du moment, et nous nous y tiendrons.

Cette matinée du 11 août lui paraissait longue. Il était là, en face du pont de Seneffe, avant le jour; ses dragons, sur l’autre rive, occupent un moulin, patrouillent dans les buissons; les heures s’écoulent monotones ; pas un Français en vue.

Dès que Saint-Clas avait en quelque sorte éventé la présence et la marche de l’ennemi, il avait fait disparaître tous ses gens : grand’garde enfoncée dans un trou, vedettes très clairsemées, ne dépassant pas les crêtes, s’abri tant derrière les murs, les troncs d’arbres. Avec le tact et la finesse d’un officier de troupes légères, Condé était entré aussitôt dans le jeu de son lieutenant ; il se cache à côté de lui sur le promontoire de Belle, et ne montrera pas plus son monde que l’autre ne laisse voir ses éclaireurs.

Les troupes qui, après leur sortie du camp, s’étaient rassemblées dans un pli de terrain près du château de Vandebeke[1], vont serpenter dans les vallons pour se rendre aux points que M. le Prince leur fait assigner par les officiers généraux. Nulle précipitation; les mouvemens sont calculés de telle sorte que tous arrivent à la fois, un peu avant dix heures, à leur poste de combat autour de Seneffe. C’est là l’heure opportune : attaquée plus tard, l’arrière-garde ennemie trouverait les chemins déblayés, se mettrait peut-être à couvert ; plus tôt, le gros de l’armée ne serait pas assez enfoncé dans les défilés, pourrait tenter un retour offensif. Quant à Saint-Clas, il va changer de rôle et repart avec ses cinq cents chevaux; par les ravins, les bois, il pousse droit dans la direction de Marimont; il ira, s’il le faut, jusqu’à Binche. C’est l’avant-garde des confédérés qu’il cherche. A peine

  1. Aujourd’hui transformé en ferme. L’enceinte maçonnée, la porte armoriée, la chaussée du pont, le fossé, existent encore.