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mépris souverain de l’exactitude, ont succédé une activité tout occidentale, l’ardeur au travail, l’aptitude à s’assimiler les méthodes rigoureuses de paiement. Les chemins de fer se multiplient sur le sol ottoman ; des ports sont creusés, les impôts sont perçus avec régularité et donnent des résultats plus élevés chaque année. Pour opérer ce miracle en douze années, il a suffi que le sultan, homme avisé, intelligent, constant dans ses desseins, confiât à une commission européenne la perception de quelques-uns de ses revenus et créât ainsi dans sa capitale un instrument puissant de régénération économique.

En aucun point du monde peut-être l’envahissement moderne du terrain politique par les questions économiques n’apparaît sous des traits plus frappans que dans l’Amérique du Nord. Qui pourrait dire aujourd’hui à quels traits spéciaux on distingue un démocrate d’un républicain ? Les deux grands partis ont la même soif du pouvoir et luttent avec autant d’acharnement qu’autrefois, mais plus rien ne les divise que des questions d’ordre commercial et financier. À la « chemise sanglante » a succédé le tarif, au radical Sumner le protectionniste Mac Kinley, à la querelle sur les droits des États la grande dispute sur la frappe de l’argent. C’est par simple tradition que les deux partis sont encore désignés sous leurs vieux noms de démocrates et de républicains, qui n’ont plus de signification. On les dénommerait plus justement protectionnistes et argentiers. Les protectionnistes ont gouverné avec Harrison pendant quatre années, et rien n’est singulier comme l’énergie qu’ils ont apportée, pendant cette période, à la satisfaction des intérêts manufacturiers, faisant de la politique paradoxale, s’attachant par tous les moyens possibles à diminuer les recettes et à augmenter les dépenses publiques. C’eût été insensé si ce n’avait été surtout déshonnête et machiavélique, les républicains, ou du moins la coterie d’usiniers, surtout de métallurgistes, qui les dirigent, ayant un intérêt immense à faire disparaître les excédens de recettes d’autrefois et à rendre par là impossible la renonciation à un tarif élevé. Les argentiers revenus au pouvoir ont été obligés d’abroger une loi qui leur était chère, la loi Sherman ; en revanche, ils travaillent à démolir le tarif de leurs adversaires.

Au Mexique, au Venezuela, au Pérou, dans la Colombie, les seules questions intéressantes à l’heure actuelle sont celles qui se rattachent aux chemins de fer et à l’exploitation du sol. Lorsque le Brésil sera débarrassé de la stupide guerre civile qui use depuis six mois son énergie vitale, il n’aura rien de plus urgent que la recherche d’une solution aux problèmes économiques