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la matière première, ou l’excitant, ou le levain? Il est possible. On en peut douter, parce qu’il ne faut pas oublier que cette matière première ou cet excitant doit être déjà assez conforme à la nature de celui qui l’absorbe pour qu’il puisse l’assimiler facilement. Or le Latin qui s’instruit chez le Grec; le Français, l’Italien, l’Espagnol, qui s’instruisent chez le Latin, ne sortent pas autant de leur monde intellectuel, font une moindre violence à leur nature que le Français qui s’instruit chez l’Allemand, le Russe ou le Norvégien. La greffe ne doit pas être d’une essence trop éloignée de l’arbre à laquelle on l’applique. — Cependant, qu’en savons-nous ? Quelques différences qui existent entre nous et les Allemands et les Russes et les Norvégiens, n’oublions pas pourtant que c’est chez nous qu’eux-mêmes ont commencé leur éducation pour en tirer une littérature d’abord analogue à la nôtre, qu’ils ont rejetée, et avec raison, quand, grâce à ces premiers exercices, ils sont arrivés à se donner une littérature originale. S’ils étaient capables de tirer quelque chose de nous, c’est sans doute un signe que nous pouvons tirer quelque chose d’eux. Il ne faut nullement décourager nos humanistes par exotisme.

Encore pourtant faut-il ajouter que cette littérature française où les peuples de l’Europe les plus différens de nous à tous égards ont puisé leur éducation littéraire était une littérature à base d’humanisme, et que par conséquent c’est bien l’antiquité qui reste la source première et commune qui, soit directement, soit par de longs canaux, soit par lointaines infiltrations, a versé partout, ou a partout animé et fécondé la vie littéraire, disons mieux, la vie intellectuelle. Peut-être, au risque d’être humanistes à l’ancienne manière, au risque même d’être un peu alexandrins à l’ancienne mode, faudrait-il ne pas négliger complètement ces origines, d’où, directement ou indirectement, et dignes d’elles comme indignes, et plus ou moins, nous venons tous.

C’est y revenir avec le plus grand profit, prenant pour guides des savans aussi distingués que M. Georges Lafaye et M. Auguste Couat, que de relire ce charmant et puissant Catulle, si original et en même temps si pénétré d’antiquité grecque, si humaniste, si alexandrin, si national aussi, et si original, premier modèle peut-être du poète classique dans tous les sens du mot, sinon dans toute la grandeur qu’il peut avoir.


EMILE FAGUET.