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et il éclate aux yeux, après le livre que nous venons de lire, qu’il a puisé aux sources vraiment antiques autant qu’aux sources prochaines, et chez les classiques grecs autant que chez les parnassiens d’Alexandrie. Tout de même Virgile, qui ne dédaignait rien, sachant bien ce qu’il était capable de faire de toutes choses, est tout plein d’Homère et de Platon, et fait son profit d’Apollonius de Rhodes, de Quintus de Smyrne, de Théocrite, sans compter Ennius lui-même, et sans compter tous ceux que nous ne connaissons pas. Et c’est en cela qu’il est le vrai classique, comme nous aurons sans doute l’occasion de le dire plus loin.

Et c’est aussi comme cela que l’ont entendu nos grands humanistes de la Renaissance française. C’est toute Rome et toute la Grèce connue d’eux qu’ils ont voulu nous rendre. L’humanisme éclectique est leur formule même, comme on aime à dire de nos jours, ou, si vous aimez mieux, leur principe. A vrai dire ils sont non seulement des humanistes éclectiques mais des humanistes insatiables. Ils ne voudraient rien laisser perdre, et ils voudraient tout absorber, c’est à savoir et l’antiquité et les Italiens et même le moyen âge français ; car si, pour ce qui est de l’éducation, de l’imagination et de l’art du style, c’est à l’antiquité qu’ils veulent qu’on s’adresse, sans négliger les Italiens ; pour ce qui est de la langue, on sait et il faut toujours répéter que c’est surtout par l’étude des vieux « Gaulois » qu’ils estiment qu’il faut la renouveler, la rafraîchir et l’enrichir. Comme compréhension, sinon absolument comme haute intelligence littéraire, ce sont les plus « larges » aussi bien que les plus ambitieux des humanistes.

Cette compréhension, qui ne leur a pas été d’un très grand profit, peut avoir d’éminens avantages. Elle détourne précisément d’imiter, comme il arrive souvent que le terme d’une évolution intellectuelle est contraire à son principe et se retourne contre lui. Quand on sait tout avec intelligence, on s’aperçoit qu’à imiter tant de choses si différentes, d’origines et d’esprits si divers, on ne fait qu’une œuvre incohérente et qu’une mosaïque pleine de dissonances. Et alors on s’avise de ne point imiter précisément, de laisser comme dormir au fond de soi tout ce qu’on a appris, pour n’en recevoir quand on écrit et pour n’en laisser passer dans ses œuvres que l’influence indirecte, l’écho lointain, le parfum adouci, l’essence subtilisée et élaborée par notre pensée propre, et devenue véritablement, quoique étrangère à l’origine, quelque chose cependant qui est de nous. C’est là le secret. Dans ce cas, alexandrinisme et humanisme disparaissent dans leur triomphe même, s’évanouissent en aboutissant, ont leur terme dans leur but atteint, et c’est le vrai classicisme qui commence. La littérature impersonnelle a rejoint la littérature personnelle et se perd en la fécondant. Mais