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rêve de l’humaniste, c’est Joachim du Bellay. Il fut amoureux à Rome d’une Romaine qui s’appelait Colomba, et il la chanta en vers latins, en distiques élégiaques et en hendécasyllabes. Voilà qui est complet. « L’histoire romaine à Rome, » disait J, -J. Ampère. L’amour romain, à Rome, en vers latins, c’est l’humanisme vécu, c’est l’atavisme amené par les circonstances à son plein effet, c’est l’illusion chère à l’humanisme portée à son dernier point de perfection, jusqu’à une manière d’hallucination charmante. Joachim dut se prendre lui-même pour Catulle. Il est vrai qu’au même temps la Rome moderne ne lui plaisait guère et lui faisait regretter son Paris et son Anjou. L’humanisme est toujours troublé par quelque chose, à savoir par la réalité qu’on aime et par la réalité qu’on n’aime point. Le réel reprend toujours ses droits et sa revanche. On ne le supprime jamais tout à fait, quelque désir qu’on en puisse avoir. Du Bellay, en son humanisme presque réalisé, n’en dut pas moins avoir « quelques minutes supérieures ».

L’humanisme a en quelque sorte trois phases successives par lesquelles passent à peu près tous ceux qui entrent une fois dans son domaine, et c’est l’admiration, puis l’imitation, puis l’émulation. On commence par admirer les grands modèles que l’on s’est mis sous les yeux. L’admiration a quelque chose en elle de respectueux qui tient toujours un peu loin de l’objet, si bien, du reste, qu’on le connaisse. Elle n’est point passive, mais elle est discrète. Elle jette dans une certaine émotion un peu tremblante. Certains humanistes ne dépassent point cette première phase, et ce sont, du reste, peut-être, les plus heureux. La plupart se familiarisent et osent au moins traduire, ce qui est la plus grande audace, encore que passant pour de la modestie. La plupart encore vont jusqu’à imiter, adapter, accommoder, et ici se placent toutes les formes, qui sont innombrables, de la contrefaçon littéraire, depuis le plagiat jusqu’à « l’imitation originale ». Imitateurs, les humanistes qui dépassent la phase de simple admiration le sont tous avec des différences infinies dans le degré. Tous les Latins le sont, depuis celui d’entre eux qui pense le plus, c’est-à-dire Lucrèce, jusqu’à celui qui pense le moins, c’est-à-dire, si l’on veut, Silius Italicus, ou si on le préfère, un autre; car on a le choix. Peut-être faudrait-il faire une exception pour le seul Lucain, qui, fond et forme, a bien prétendu faire quelque chose de complètement nouveau. Quand Horace s’écrie : O imitatores servum pecus, comment se fait-il qu’il ne s’aperçoive point qu’il s’indigne contre toute sa race et à commencer par lui-même? Il est très probable que par imitateurs il n’entend que ceux qui, Latins, imitent