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pouvait et qu’on devait donner à la France les mœurs de Sparte ou plutôt, ce qui est très significatif de l’état d’esprit en question, les mœurs à la fois de Sparte, d’Athènes et de Rome; en un mot, — qui est juste quoique ridicule, — des mœurs classiques. Cette conception, un peu divertissante, était née d’une passion, innocente en son principe, pour le Conciones. — Qu’on ne fasse pas cette objection : « Les humanistes sont donc à la fois misonéistes et révolutionnaires? » Il n’y a pas incompatibilité ni antinomie en cela. Les révolutionnaires ne sont pas conservateurs, mais ils sont presque toujours réactionnaires. La confusion entre conservateur et réactionnaire est un des préjugés de la langue. Le conservateur est l’homme qui est à peu près content du présent, le réactionnaire est l’homme qui en est mécontent et qui veut retourner en arrière ; et, quand il veut retourner très loin en arrière, il est un révolutionnaire radical. Et réciproquement le révolutionnaire, très souvent, est un homme qui, rêvant une société totalement différente de celle où il vit, en trouve le modèle dans une société qui a existé très anciennement et dont il caresse amoureusement le souvenir, mêlé, du reste, d’une foule d’imaginations qui l’embellissent encore. Et tels étaient, pour une bonne part de leurs conceptions, de leurs rêves et de leurs espérances, les révolutionnaires parfaitement rétrogrades de 1788. Songez que nos socialistes, même ceux d’aujourd’hui, ne sont pas sans entretenir leur pensée de la République de Platon, voilà pour la théorie, et des mesures constitutionnelles de Cléomène, voilà pour les faits.

Pour en revenir au point de vue purement littéraire, l’humaniste est donc un archéologue devenu un archéonome. Il a l’esprit antique en lui. Et cette disposition s’accuse à mesure que l’antiquité fuit davantage derrière nous, le respect étant plus grand de loin, et aussi l’amour, du moins en choses littéraires. L’alexandrin d’Alexandrie est alexandrin dans le sens que j’ai donné à ce mot, il est peu humaniste au sens où je viens de prendre ce terme; il est, je l’ai dit, et il veut être très moderne. Le Latin amoureux des Grecs est déjà beaucoup plus humaniste. Catulle, quoique trop large, trop complexe, et trop grand pour être ramené à ces étroites limites, est humaniste beaucoup plus que Callimaque, et Properce est presque humaniste exclusivement ; c’est un Grec qui se promène dans Rome, que du reste il admire, mais la patrie de son cœur est de l’autre côté de l’Adriatique. Et quand nous arrivons à la Renaissance, l’humanisme est tellement une passion qu’il en devient inquiétant. Sait-on bien que Ronsard, le bon catholique Ronsard, en vient quelque part à regretter de n’être point païen?