Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les traces de l’accès de goutte n’ont pas entièrement disparu : Condé n’a pu mettre de bottes; chaussé comme pour le bal, en souliers et bas de soie, mais galopant avec aisance, il traverse rapidement le terrain accidenté qui sépare le bassin du Piéton de celui de la Samme, et gagne une hauteur qui a un beau commandement; la veille, il s’y était longuement arrêté. Encore aujourd’hui, ce point est jalonné par l’ermitage de Notre-Dame-des-Sept-Douleurs[1]. Quelques cavaliers y sont en vedette; M. le Prince entend leur rapport, observe lui-même un moment, et s’empresse de rejoindre sa grand’garde, qui est rassemblée à une demi-lieue au nord, dans un fond, près de la ferme de Belle, où Saint-Clas attend son général. Là, une sorte de promontoire[2] s’avance dans la vallée; le commandement est le même qu’à la chapelle des Sept-Douleurs, la vue aussi étendue; par elle-même, la position a une importance capitale, que les événemens vont faire ressortir et que Saint-Clas a bien jugée. Il y était avant l’aurore et n’en avait pas bougé ; déjà il a beaucoup vu. Condé se place à côté de lui, écoute, regarde, réfléchit. A sa gauche, à près de deux lieues au sud, le clocher de Fayt, situé sur une arête, domine tout le pays. Les maisons du bourg, alors de médiocre importance, se cachent parmi les arbres fruitiers, les houblonnières qui couvrent les flancs de la hauteur et qui, à leur tour, se perdent dans un océan de bois inégalement touffus et clairsemés.

Un peu plus bas et moins loin, la flèche[3] du Prieuré-Saint-Nicolas s’élance du milieu des vergers ; plus bas encore, au-dessous du Prieuré, un fond marécageux et quelques cabanes devenues aujourd’hui le bourg de Manage. En deçà, une petite plaine, bordée à l’ouest par des bois, à l’est par la Samme, qui, n’étant pas canalisée comme aujourd’hui, coulait au pied des hauteurs, roulant ses eaux du sud au nord, au milieu de marécages, de touffes d’aulnes et de peupliers, et continuait son cours dans la direction de Bruxelles. Aux pieds de Condé, des bosquets et quelques maisons[4] font comme une tête au pont qui traverse la Samme et qui conduit sur la rive gauche au bourg de Seneffe. Là est postée l’arrière-garde des ennemis, que la queue de leurs bagages n’a pas encore dépassée, tandis que l’avant-garde est déjà bien au delà de Fayt; car des hauteurs que Condé vient de par- courir, du moulin de Belle comme de la chapelle des Sept-Douleurs,

  1. 3500 mètres à l’ouest du camp.
  2. La carte de Belgique au 1/20 000e y place la tour de Belle.
  3. Cette flèche a disparu. Un massif édifice, reste de l’ancien prieuré, sert aujourd’hui de caserne à la gendarmerie.
  4. Le château, les avenues que l’on voit aujourd’hui sur cet emplacement n’existaient pas alors. A en juger par la hauteur des chênes, une portion d’anciens bois a été enclose dans le mur qui enveloppe le parc.