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état d’esprit, ce repos de la littérature personnelle, il reparaît en différens temps, toutes les fois ou que la littérature personnelle est un peu lasse d’un certain surmenage et d’une certaine surproduction, ou que la littérature personnelle n’a pas encore la force de naître. Les Romains ont commencé et ont fini par être alexandrins. Ils l’ont été, d’une façon élémentaire, pour ainsi parler, en commençant; ils se sont à peu près bornés à reproduire les chefs-d’œuvre grecs qu’ils admiraient, ou à les imiter de très près avec une prudence timide, qu’ils n’avaient qu’en littérature et qui ne sentait point du tout le conquérant. Et de même, à la fin de leur histoire littéraire, et aussi de leur histoire politique, ils sont revenus à la littérature d’imitation, mais à la littérature d’imitation s’appliquant aux œuvres romaines elles-mêmes, alexandrins en ceci comme l’avaient été les alexandrins d’Alexandrie, faisant porter leur effort d’imitation et de rénovation sur les œuvres de leur nation même et de leur race. Entre ces deux époques, entre ce commencement et cette fin analogues, se place le beau temps de la littérature romaine, qui n’a jamais été complètement originale, mais qui a été imitatrice d’une certaine façon toute particulière, raison pour quoi c’est dans cette autre partie de cette étude que nous aurons à la considérer.

Alexandrins encore ces cicéroniens de la Renaissance qui non seulement n’admettent que l’art antique, mais croient encore que c’est sous la forme même sous laquelle il s’est manifesté autrefois, et dans la langue qu’il a parlée, qu’il convient de le présenter à nouveau au monde. Prose latine et de la meilleure époque, vers latins et du meilleur coin, voilà ce qu’il faut retrouver, et voilà ce qu’il faut élaborer avec une curiosité diligente pour enchanter et pour fortifier les esprits.

Pour ce qui est de la prose latine, ils avaient, à la vérité, une autre raison, et, alléguant cette raison, ils avaient raison. Parler latin et maintenir cette coutume, c’était tout simplement maintenir la langue universelle, au lieu d’en chercher une. Qui parlait ou écrivait en latin était entendu de toute l’Europe. C’est quelque chose que cela, et il est plus court d’apprendre une langue ancienne, utile du reste par elle-même, et qui permet de lire des chefs-d’œuvre, que d’apprendre huit langues modernes pour pouvoir être au courant du mouvement scientifique, historique et philosophique d’un pays grand comme la main qui s’appelle l’Europe. Sachons bien qu’à cet égard nous avons fait un pas en arrière. Les ouvrages d’art ne doivent être écrits que dans la langue maternelle de l’artiste qui les écrit ; c’est dans cette langue seule que son génie est à l’aise et reste personnel ; mais tous les