Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 123.djvu/103

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fleuve majestueux de la tradition moderne ; le fleuve coule à pleins bords le jour où Descartes publie, avec le Discours de la Méthode, la Géométrie, la Dioptrique et les Météores.

C’est à Descartes qu’il nous faut remonter pour trouver la source des théories optiques.

Pour Descartes, l’essence de la matière consiste en cela seul qu’elle est une chose étendue en longueur, largeur et profondeur ; cette affirmation, tout le monde la connaît ; mais ce que l’on soupçonne moins, peut-être, c’est la prodigieuse fécondité et l’influence prolongée de cette proposition ; en elle, se condensait le système entier de la physique cartésienne ; les idées qu’elle renfermait se sont imprimées profondément dans les intelligences contemporaines de Descartes ; depuis deux siècles et demi, dans le moule de cette formule, mainte théorie a été coulée ; et aujourd’hui encore les habitudes d’esprit, les manières de penser de la majorité des physiciens portent l’empreinte, à peine effacée, du sceau cartésien.

Être clair ou obscur, être coloré en rouge ou en vert, ce ne peut être une qualité première de la matière, car il n’y a rien en la matière, sinon qu’elle est étendue en longueur, largeur et profondeur ; on n’y doit rien mettre que ce que considèrent les géomètres, la grandeur, la figure et le mouvement ; en quoi consiste donc vraiment la différence entre un corps éclairé et un corps qui ne l’est pas ? qu’est-ce que la lumière ? La lumière n’est pas autre chose qu’une agitation extrêmement rapide des parties du corps éclairé ; plus l’agitation est vive, plus la lumière est intense ; à chaque couleur correspond un genre spécial de mouvement.

Comme la matière n’est autre chose que l’étendue en longueur, largeur et profondeur, partout où il y a longueur, largeur et profondeur, il y a matière ; il n’y a donc nulle part de vide dans la nature ; il existe des corps là même où nos sens ne nous font rien percevoir, et les espaces célestes sont aussi pleins qu’un bloc d’acier. Les diverses parties, violemment agitées, d’un corps lumineux, du Soleil par exemple, viennent-elles à choquer les parties contiguës du corps qui s’étend entre le Soleil et la Terre ? celles-ci, à leur tour, heurtent leurs voisines, l’ébranlement gagne de proche en proche, et tandis que chacune des parties du corps traversé par la lumière n’a exécuté qu’une très petite excursion, le mouvement lumineux, lui, a atteint les points les plus éloignés du lieu où il est né.

La nature de la substance corporelle consiste exclusivement en ce qu’elle est une chose étendue, et cette étendue, qui est l’essence de la matière, est exactement celle que les géomètres ont