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l’inspiration religieuse qui préside à l’organisation ancienne des sociétés a été supplantée, moins qu’ailleurs, par l’éclosion d’un régime séculier. C’est par la coutume religieuse qu’est réglée la société hindoue. Les Livres de lois sont essentiellement des recueils de préceptes religieux. En l’absence d’une législation véritable, et sous l’empire toujours grandissant des brahmanes, ils ont fini par recevoir une sorte de sanction officielle et publique. Elle ne leur est échue que tardivement, non sans restrictions. C’est une évolution secondaire de leur histoire ; leur nature primitive n’en est pas atteinte.

Parallèlement, se déroule le courant de la tradition épique. Très archaïque par ses origines, beaucoup plus moderne par sa rédaction, elle couvre toute une vaste période assez mal déterminée. De sa nature, elle s’adresse à une partie toute différente de la population. Cependant, dans son cadre immense, elle n’embrasse pas seulement des récits d’un accent national ou légendaire ; elle s’est largement ouverte aux digressions doctrinales. Elle s’est d’ailleurs constituée à une époque où la suprématie des brahmanes, l’autorité de leur enseignement étaient, en tout genre, irrévocablement établies. Par sa rédaction, c’est aux brahmanes, à leur sphère d’influence immédiate qu’elle remonte directement. On s’en aperçoit aux ressemblances nombreuses, souvent littérales, qu’elle offre avec les « Livres de lois », aux citations qu’elle leur emprunte en abondance, surtout au plus célèbre de tous, au Code de Manou. Ainsi, quoique par son sujet qui est national, sinon par sa langue qui est savante, elle s’adresse à tout le peuple, quoiqu’elle emprunte sa matière centrale à la légende guerrière, l’épopée fait masse avec la tradition sacerdotale. Le champ en est si vaste, les récits si variés, qu’il n’a pu manquer de s’y glisser quelque inconsistance ; à tout prendre, les règles proclamées, le système reconnu, l’autorité prépondérante, sont bien les mêmes des deux côtés.

La part faite à des divergences légères, nous pouvons embrasser dans une seule vue, sans avoir à redouter aucune discordance essentielle, le tableau qui se déroule dans les deux séries de documens.

La théorie qui s’en dégage nous met sous les yeux une société répartie en castes sévèrement isolées, gouvernées par des règles très semblables à celles qui gouvernent l’usage vivant. Les occupations assignées à chaque caste sont distinguées et limitées. Le mariage est réglementé avec soin. Seule, une femme de même caste peut assister son mari dans les rites de la famille et du sacrifice ; elle assure seule au fils un rang égal à celui du père.