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Son but est de nous empêcher de faire certaines folies dont nous nous repentirions ensuite, et de maintenir la paix, même contre nous, dans notre intérêt bien entendu. Le roi Humbert en personne vient de faire appeler un journaliste parisien pour lui donner ces explications et ces assurances, que M. Crispi ne manque certainement pas de prodiguer à notre ambassadeur. C’est un fait nouveau que celui d’un roi qui s’adresse directement à un peuple étranger par l’intermédiaire d’un journal ; c’est le triomphe, l’apothéose de l’interview. Au surplus, tous les moyens sont bons pour dissiper de fâcheux malentendus, et ceux qui font le plus d’effet sont les meilleurs. La démarche du roi Humbert, dont la loyauté personnelle est bien connue, sera appréciée chez nous comme elle mérite de l’être. Le roi déclare qu’il veut la paix. La guerre ouvrirait de si redoutables éventualités, elle ferait couler tant de sang, ses résultats seraient d’ailleurs si difficiles à prévoir, qu’un souverain soucieux de sa responsabilité doit en repousser l’idée. Le roi Humbert la repousse, il le dit et nous le croyons ; mais est-il tout à fait maître de sa politique, et ne l’a-t-il pas liée à celle d’autres puissances dans des conditions qui nous semblent d’autant plus inquiétantes que nous ne les connaissons pas ? Sans doute, le roi Humbert assure que l’empereur Guillaume et l’empereur François-Joseph veulent la paix aussi résolument que lui, et nous n’en doutons pas davantage. Il n’en est pas moins vrai que, pour les puissances qui font partie de la Triple-Alliance, les chances de guerre se compliquent de celles qui peuvent naître en dehors de chacune d’elles, et s’imposer à toutes en vertu des traités. A quoi l’Italie s’est-elle engagée, et pourquoi l’a-t-elle fait ? Qui donc la menaçait ? Quel besoin avait-elle d’alliances militaires qui devaient enchaîner sa liberté et peser lourdement sur ses finances, pour un résultat peut-être inavouable et, dans tous les cas, inavoué ? C’est la question qui pèse sur la conscience des deux pays ; elle gêne l’expansion de leurs sympathies réciproques ; aucune réponse n’y a été faite.

Depuis quelques semaines, il y a eu, du côté italien, un effort visible pour multiplier à notre égard les affirmations rassurantes. La presse a subitement modifié le ton habituel qu’elle employait en parlant de la France, et les journaux qui récemment encore nous étaient le plus hostiles sont devenus pour nous pleins de ménagemens et même d’avances. Notre propre presse, qui est très sensible aux bons procédés, a fait le plus souvent à ces avances un accueil bienveillant. Il est clair que, livrés à eux-mêmes, les deux nations ne demandent qu’à s’entendre et à vivre en bonnes voisines. Il ne faudrait pourtant pas se bercer d’illusions, car elles durent peu et le réveil en est maussade. Que veut-on de nous ? La presse italienne ne cesse d’écrire que rien ne serait plus facile que d’amener un rapprochement économique entre les deux pays, et que rien aussi ne serait plus avantageux pour l’un et pour l’autre. A force de donner ce rapprochement comme possible, on en est venu à le