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ces innombrables essais que fait germer chez les éditeurs, sitôt enterré, tout Anglais un peu célèbre. Ce qu’on attendait des revues, à l’occasion de cette mort de Tyndall, c’étaient seulement quelques pages signées des confrères les plus fameux du défunt, surtout de M. Herbert Spencer et de M. Huxley, qui formaient avec Tyndall, dans l’opinion du public, la grande trinité des savans anglais de ce temps.

Et de fait, c’est ce que l’on a eu. La Fortnighthy Review a publié quelques pages de M. Spencer, la Nineteenth Century, de M. Huxley ; les autres revues ont dû se rabattre sur des notabilités de moindre importance ; quelques-unes se sont adressées à des députés, de sorte que leurs lecteurs, à ne lire qu’elles, pourraient s’imaginer que Tyndall, physicien par occasion, a été surtout un homme politique ; mais il n’y en a pas si petite qui n’ait tenu à mettre sur son sommaire, en regard du nom de Tyndall, un autre nom connu du public.

Ni M. Spencer, ni M. Huxley n’ont pris la peine, naturellement, d’apprécier dans son ensemble l’œuvre de Tyndall : ce n’était pas ce qu’on leur demandait, mais seulement de dire, à propos du défunt, n’importe quoi qui leur plaisait à dire. Aussi l’un et l’autre n’ont-ils guère parlé que d’eux-mêmes. Ils l’ont fait chacun à sa manière, sans le moindre souci de se contraindre, en hommes qui ont ailleurs leurs ouvrages sérieux. De sorte que leurs articles nous renseignent aussi peu que possible sur Tyndall, mais nous donnent en revanche une très intéressante image du tempérament, de l’humeur, et des habitudes d’esprit de chacun d’eux.


M. Spencer est avant tout un théoricien : et c’est encore un vieil Anglais un peu bourru, qui ne voit rien au monde que ses théories, et considère le reste des choses comme spécialement destiné à l’importuner. Tel il se montre à nous dans ses quelques pages sur Tyndall.

Il commence par se plaindre de sa santé. « Parmi les inconvéniens de la mauvaise santé, dit-il, c’en est un que l’impossibilité où l’on est d’assister à l’enterrement d’un ami ; et c’en est un autre de devoir ajourner l’honneur qu’on doit à la mémoire de cet ami. »

Et tout de suite, le voici engagé dans une théorie. « Tyndall, dit-il, a été un exemple de l’utilité de l’imagination dans les sciences. On se trompe toujours sur le sens de l’imagination. On attribue cette faculté aux peuples superstitieux, dont les traditions sont encombrées de contes de fées et autres choses du même genre ; et l’on refuse de voir de l’imagination chez l’homme qui invente une machine nouvelle. En réalité, il faut plus d’imagination au savant qu’au plus inspiré des poètes. » Suit une page sur le véritable sens du mot imagination.

Les théories de la page suivante sont d’un intérêt plus haut. « Tyndall, dit M. Spencer, ne bornait point ses pensées à la physique, mais