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Ce qu’il y a à la base d’une pareille méthode de direction, c’est la croyance que nous avons une inclination naturelle à aimer Dieu, ou, pour tout dire, que la nature humaine est bonne. Certes François de Sales nous dit qu’il a fait choix d’une âme qui a déjà le désir de la dévotion. Mais qui ne voit combien serait diminuée la portée du livre s’il ne s’adressait qu’au pécheur déjà plus d’à moitié converti ? Philothée nous intéresserait médiocrement si elle n’était qu’un pseudonyme de Mme de Charmoisy. Elle ne nous intéresse complètement que si elle personnifie l’âme humaine tout entière, avec la diversité de ses instincts, avec son mélange de bonnes et de mauvaises inclinations. En fait, c’est bien de quoi il s’agit. L’auteur de l’Introduction est d’avis que dans notre nature les bonnes inclinations prédominent. La nature humaine de façon générale est bonne ; elle l’est particulièrement en chacun de nous. Il arrive que nous soyons mécontens d’être tels que nous sommes, et que nous regrettions de n’avoir pas meilleur esprit et meilleur jugement. Ce sont vains regrets et désirs frivoles. Il n’est pour chacun que d’accepter le naturel qu’il a reçu et de « cultiver le sien tel qu’il est[1] ! » Nous n’avons pas le droit d’être rudes à nous-mêmes ; si nous avons mal fait, il ne faut pas nous courroucer et nous dépiter ; mais la douceur est un devoir envers nous autant qu’envers les autres. Et enfin il ne faut jamais perdre courage. Il se peut qu’il y ait dans notre marche vers la perfection comme des temps d’arrêt. Parfois nous nous trouvons sans force et sans goût pour la vertu. Nous avons des sécheresses et des stérilités d’âme. N’ayons pour cela ni inquiétude ni tourment. Attendons en patience le retour des consolations. Suivons notre train… Aussi bien l’attrait par lequel la vertu nous séduit est l’attrait lui-même du plaisir. « Les vertus ont cela d’admirable qu’elles délectent l’âme d’une douceur et suavité non-pareille, après qu’on les a exercées… 0 vie dévote, que vous êtes belle, douce, agréable et souefve ! Vous adoucissez les tribulations et rendez souefves les consolations. Sans vous, le bien est mal et les plaisirs pleins d’inquiétudes, troubles et défaillances[2]. » La dévotion est une volupté comme les autres, différente seulement en ce qu’elle est plus complète et qu’elle n’est pas trompeuse. L’âme est bonne ; c’est pourquoi elle trouve satisfaction dans le bien. Telle est la conclusion où aboutit François de Sales, et tel avait été pareillement son point de départ. C’est la doctrine elle-même de l’optimisme.

Cette considération d’un optimisme foncier, c’est par où tout s’explique chez François de Sales et jusqu’aux sourires de son style. Et c’est la source également des objections qu’on lui a adressées. Les jansénistes

  1. Introd., p. 261.
  2. Introd., p. 355.