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et tranquille, travaillant sur un terrain égal et assez mou, devaient subir presque instantanément la domination du cavalier, sans qu’il fût besoin d’employer la violence. Cependant les pratiques brutales nées de la routine ne devaient pas pour cela disparaître.

La Broue, le premier écuyer français qui ait écrit, nous a laissé un bon livre : le Cavalerice françois. Il recommande déjà de ne pas faire de grands mouvemens à cheval, de ne pas étourdir l’animal par des cris. Il prescrit la douceur et la patience, mais il ajoute que certains chevaux sont rétifs par malice, qu’il faut les frapper vigoureusement à coups d’éperons et de nerf de bœuf, faire tirer la queue avec une corde, lier les génitoires avec un gros ruban de soie ou de laine attaché à la selle et que le cavalier tirera quand le cheval se défendra, ou lancer l’animal contre un mur ou un précipice. Il attachait une grande importance aux flexions de l’encolure et faisait plier celle-ci latéralement jusqu’à ce que le cheval prît de l’herbe tenue entre le pied et l’étrier.

César Fiaschi se servait beaucoup de la musique, chantait des airs à ses chevaux et prétendait que cela était très utile pour les rendre dociles, régler et cadencer leurs allures.

Claudio Corte prescrivait un mors spécial et un châtiment spécial pour chaque défaut du cheval.

Pour forcer plus facilement dès le début la soumission de l’animal, on inventa très ingénieusement le pilier, auquel on l’attachait par le licol ou le caveçon et autour duquel on le faisait tourner à droite et à gauche en se servant d’une gaule pour faire mouvoir l’arrière-main.

Pluvinel, qui fut le maître du jeune roi Louis XIII, introduisit en France l’usage du pilier emprunté à l’Ecole italienne et inventa le travail des deux piliers. Il montra infiniment de jugement et de tact dans toutes ses appréciations générales sur l’équitation. Il dit qu’il faut que l’homme, en montant sur un cheval, « se résolve de souffrir toutes les extravagances qui se peuvent attendre d’un animal irraisonnable » et il montre comme ce bel exercice est utile à l’esprit puisqu’il l’accoutume d’exécuter nettement et avec ordre toutes ses fonctions parmi le tracas, le bruit, l’agitation et la peur continuelle du péril. Son Manège Royal, contenant les discours qu’il fit au roy pour lui apprendre l’art de bien monter à cheval, est rempli de réflexions fort judicieuses, dignes d’un philosophe autant que d’un écuyer.

Pour éviter les difficultés et les accidens qui peuvent se produire au commencement du dressage, il veut qu’on sorte le jeune cheval avec le filet, sans selle, qu’on lui mette un caveçon de fer ou mieux de cordes pour ne pas lui faire de mal, qu’on l’attache