Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les exigences du vainqueur n’y avaient point seulement place l’Etat dans une situation inextricable, les ruines privées s’étaient entassées ; la vraie richesse foncière du pays, les biens nobles étaient hypothéqués pour leur valeur presque entière ; l’Etat réduit de moitié ; les ressources supprimées par l’occupation étrangère.

On avait vécu durant toute l’année 1808 au jour le jour, rassemblant comme on pouvait, chaque mois, les 750 000 francs qu’exigeait, malgré tout, l’entretien d’une force militaire à laquelle les patriotes ne voulaient point renoncer[1].

La convention du 8 septembre 1808 avait apporté un peu plus de clarté dans la situation, mais ne l’avait pas rendue plus aisée. Elle imposait à la Prusse le paiement en espèces de 4 millions de francs pur mois. C’était là, pour l’Etat prussien, une impossibilité matérielle.

Dès le milieu de 1809, on retrouve dans l’administration financière la trace de l’action occulte de Hardenberg, action occulte que le désarroi gouvernemental et les habitudes d’esprit de Frédéric-Guillaume III facilitaient tout particulièrement et qu’il avait déjà exercée plus d’une fois. Elle allait se poursuivre durant plus d’une année, peu propre, il faut le reconnaître, à simplifier la tâche des ministres titulaires ou à leur assurer l’autorité dont ils avaient besoin.

Ce ne l’ut cependant qu’au printemps de 1810, en mars et en mai, que l’intervention de Hardenberg devint plus active[2]. Altenstein avait proposé la cession de la Silésie. Il résumait avec beaucoup de force la situation en disant : « Le peuple ne peut plus payer d’impôts : il n’y a plus d’argent à emprunter au dehors. On a tiré des domaines tout ce qu’ils pouvaient donner[3]. »

Il est donc probable que ce fut avec un sentiment de confiance médiocre qu’il présenta peu après le plan financier dans lequel il proposait de contracter un emprunt au dehors et de créer des ressources à l’intérieur par une surélévation des impôts indirects.

Vers cette même époque, un intrigant de cour dont nous avons déjà rencontré plus d’une fois le nom et l’action, Wittgenstein, ménagea deux entrevues secrètes entre le roi et Hardenberg, l’une à Beeskow le 14 avril, la seconde à l’île des Paons, près de Polsdam, le 2 mai[4]. Hardenberg en sortit chargé par

  1. Karl Mamroth, Geschichte der preussischen Staatsbesteuerung, 1806-1816, p. 27, 30, 33.
  2. Leopold von Ranke, Denkwürdigkeiten des Staatskanzlers Fürsten von Hardenberg, IV, 215.
  3. Karl Mamroth, Geschichte der preussischen Staatsbesteuerung, 1806-1816, p. 134.
  4. Ranke, Denkwürdigkeiten des Staatskanzlers Fürsten von Hardenberg, IV, p. 223. — Erinnerungen aus dem Leben des General-Feldmarschalls Hermann von Boyen, II, p. 50. — Seeley, Life and Times of Stein, II, pp. 407, 411.