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sur la propriété même ; ce n’a pas été sans un douloureux sacrifice. On ne neutralise pas volontiers cinquante à soixante mètres qui coûtent de cinq à six mille francs le mètre. Nous rencontrons pourtant à Chicago une sorte d’immense palais, le « Temple des Dames » (Women Temple), qui semble s’être fait un devoir d’immoler quelques milliers de dollars sur l’autel féminin. Quoiqu’il eût front-à-rue de trois côtés et qu’il se donnât le luxe de six tours flanquant ses courtines inoffensives, il a mis son élévation principale en retraite de quelques mètres pour multiplier ses fenêtres ou pour se donner un faux air de château fort bien défendu. Le grand porche pourrait l’être aisément : il n’y manque que la herse et le pont-levis.

La plus remarquable des constructions de ce genre où l’entrepreneur a sacrifié une partie de son terrain pour donner du jour à toutes les parties de l’édifice, c’est l’Union Trust Building, bâti à Saint-Louis par les architectes Adler et Sullivan. Cette colossale bâtisse présente deux tours carrées identiques et séparées l’une de l’autre dans toute leur hauteur de douze étapes, mais réunies par la base, qui comprend un rez-de-chaussée et un entresol élevé formant soubassement. In porche immense en plein cintre, pareil à une porte de cathédrale romane, donne accès dans l’édifice. Les quatre façades extérieures et les deux façades intérieures se ressemblent. Elles sont divisées verticalement en longues arcatures posées sur le soubassement et embrassant dix étages. Au-dessus de ces arcatures règne une colonnade derrière laquelle s’ouvrent les croisées de deux étages. L’aspect de ces tours jumelles où la ligne droite et l’angle droit dominent, est original, imprévu, et ne manque pas de caractère. Les angles et les piliers des arcatures sont exécutés en maçonnerie, le sol offrant plus de solidité que celui de Chicago.

Une autre question s’est posée. Comment des édifices si hauts, bâtis sur des bases si étroites, résisteraient-ils à la pression du vent ? A New-York surtout, où les terrains n’ont guère que sept mètres et demi de largeur, et où les ouragans sont violens, ces charpentes en métal offriraient-elles une rigidité suffisante pour n’être pas renversées ? Calculateurs infatigables, et prudens dans leur témérité, les architectes américains ont imaginé d’étayer leurs portans principaux, à part les angles, au moyen de contreforts en treillis d’acier dissimulés à l’intérieur. C’était le seul moyen de suppléera la pesanteur de la maçonnerie qui leur faisait défaut. Mais ces contreforts devenaient une gêne pour la distribution des logis. Ils se sont alors avisés de donner pour semelles à leurs contreforts non pas les sommiers des planchers, mais des sommiers factices qu’ils ont boulonnés à une certaine distance des