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Depuis quelques années l’application de la céramique à l’architecture a pris, en Angleterre, une importance marquée. Cela tient à deux causes principales : l’emploi exclusif du charbon minéral pour le chauffage et le climat brumeux de la contrée. À mesure que l’architecte anglais s’est écarté du métier pour devenir artiste, il a éprouvé le besoin de combattre l’effet du brouillard et de la fumée ; il a cherché parmi les matériaux quels seraient ceux qui résisteraient le mieux aux conditions météorologiques. La terre cuite émaillée lui offrait cet avantage. La brume fuligineuse de l’atmosphère n’a sur elle aucune prise ; un jet d’eau aurait vite balayé le dépôt qui s’y serait formé. D’habiles industriels ont en même temps perfectionné leurs produits céramiques et rendu plus accessibles aux constructeurs les briques émaillées. L’artiste n’avait plus qu’à choisir ses tons et à varier ses couleurs.

Nos architectes n’ont pas négligé d’imiter leurs confrères du Royaume-Uni. Ils ont parfois mêlé la poterie émaillée au calcaire, mais il faut avouer que, dans le bassin de Paris, la pierre de taille est si abondante, si aisée à manier, si propice à l’ornementation, que la brique à couverte n’avait pour s’imposer chez nous aucune des bonnes raisons qui l’ont fait adopter chez nos voisins. Nos architectes ont jusqu’à présent limité leurs essais de terre cuite émaillée à des incrustations et à des frises de faïence. Tout au plus s’en est-on servi, à l’instar des Persans et des Arabes, pour revêtir les coupoles de l’Exposition universelle de 1889. Notre climat n’en commande pas l’usage et notre goût latin n’y pousse pas nos artistes. L’Angleterre verra avant nous revivre dans ses grandes constructions le système ornemental de l’architecture orientale. Pendant que nous nous bornerons à quelques fragmens de placage, Londres verra s’élever des murailles tout entières en briques dont un des côtés aura reçu la couverte de la porcelaine. Ce que la grande ville y gagnera, on peut l’imaginer quand on parcourt les rues de Londres. Les trois quarts des maisons ne montrent au passant que des murailles nues et noires, dans lesquelles s’ouvrent des fenêtres basses que les habitans décorent vainement de verdures et de fleurs plantées dans des corbeilles de faïence. L’aspect est triste, maussade et porte à penser que le spleen doit y régner en maître ; grande erreur, car l’Anglais, dans son intérieur, dépense plus de gaîté que nous ne sommes tentés de lui en attribuer.

Dans les quartiers riches, dans les rues nouvelles, au maçon s’est substitué l’architecte ; mais sous l’étreinte des mœurs — et des emphytéoses, — il a dû combiner ses architectures de manière à les couper par tranches verticales. Il vous montre une architecture