Page:Revue des Deux Mondes - 1894 - tome 122.djvu/838

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dissoudre la représentation nationale, soit à l’exception qui, le soustrayant à la condition commune des citoyens, le décharge de la responsabilité de ses actes, et rend ainsi sa personne intangible et inviolable. Il semble même à première vue que la responsabilité de tous les magistrats, sans distinction, depuis le plus humble jusqu’au plus élevé, soit la raison d’être du régime républicain. Ce sont là évidemment deux emprunts faits à un ordre d’idées qui n’a rien de commun avec la République, et c’est en effet celui qui a transformé, avec le cours du temps et le progrès des idées libérales, des royautés absolues en monarchies constitutionnelles. Ces deux dispositions gardent l’empreinte de leur origine et le caractère en reste essentiellement monarchique. On peut même affirmer que non seulement elles n’auraient pas trouvé d’accès dans une constitution républicaine, mais que la pensée n’en serait même pas venue si, parmi les auteurs de la loi de 1875, n’avaient figuré, avec une autorité toute particulière, des monarchistes de naissance et de conviction, renonçant à regret au rétablissement immédiat de la royauté, enclins par là même à accueillir tout ce qui on reproduisait le souvenir ou pouvait en faciliter le retour. C’est un point d’histoire sur lequel il faut insister, et qu’on ne peut perdre de vue si l’on veut comprendre quelle fut la portée et même quel est le sens de la constitution de 1875.

Que l’Assemblée dont cette constitution émane n’ait jamais été à aucune époque, pas plus à son premier qu’à son dernier jour, animée de sentimens républicains, c’est un fait incontestable et dont je ne vois pas pourquoi on aurait à la justifier devant la postérité qui va commencer pour elle. La République qu’elle avait trouvée improvisée dans un jour de désastre n’avait aucun caractère légal, et ne lui présentait dans le passé que d’odieuses et, dans le présent, que de tristes images. La très grande majorité de cette Assemblée réunie inopinément sous l’empire de circonstances douloureuses ne contenait que des hommes pénétrés dès l’enfance de convictions monarchiques : les uns avaient voué à la royauté une foi traditionnelle affermie dans leurs cœurs par les sacrifices mêmes qu’elle leur avait coûté ; d’autres portaient au principe d’hérédité un attachement raisonné que leur avaient inspiré les leçons de maîtres appartenant aux écoles libérales les plus diverses, depuis Mirabeau et Benjamin Constant, jusqu’à Royer-Collard, Rossi et Guizot, et auxquels s’était joint M. Thiers lui-même, dans l’éclat de sa brillante jeunesse, comme dans la pleine maturité de son âge et de son talent. Il n’était pas, en effet, un de ces penseurs ou de ces hommes d’Etat qui n’eût professé et même cru démontrer, avec une rigueur logique, que le régime