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sérieuse qui ait tenté de s’en affranchir : ce fut le célèbre M. Grévy, qui alla même jusqu’à proposer que l’Assemblée eût non seulement le droit d’élire, mais aussi celui de révoquer à son gré le premier magistrat de la République. Mais il fit peu de disciples, même parmi ses meilleurs amis, et lui-même, devenu Président dans des conditions différentes, n’aimait pas beaucoup qu’on lui rappelât le souvenir de cette théorie aventureuse.

Les législateurs de 1875, avertis par cet exemple même du péril, n’ont donc eu garde de le perdre de vue. On serait heureux de pouvoir recourir ici, comme pour la Constitution de 1848, aux annales parlementaires, afin d’y trouver soit dans un exposé des motifs, soit dans la bouche d’un orateur au cours d’une discussion, l’énoncé et le commentaire des dispositions diverses par lesquelles ils ont essayé de résoudre ce problème. Malheureusement cette ressource manque.

On peut se souvenir en effet que (par des raisons que tout le monde connut dans le temps, et qui s’expliqueront d’elles-mêmes tout à l’heure) la discussion de la loi organique de 1875 fut hâtive, courte et presque nulle. Le texte de cette loi est celui d’un amendement, qui n’avait dû la faveur d’une première adoption (par une imperceptible majorité) qu’à la circonstance d’avoir passé à peu près inaperçu : aucun développement n’y fut donné dans les délibérations suivantes. C’est donc dans le texte même qu’il faut chercher l’ensemble des précautions qui ont dû avoir pour but, en conservant l’origine parlementaire de l’élection, d’assurer l’indépendance et la dignité de l’élu.

Je ne crois pas qu’on puisse considérer comme une garantie de cette nature le fait d’avoir confié le droit d’élection du Président, non pas à une Chambre seule, mais à un congrès formé par deux Chambres réunies. On ne s’est sûrement pas dissimulé que ce partage n’était qu’apparent. Pure affaire de courtoisie envers le Sénat, car les deux Chambres étant numériquement très inégales (on compte à peu près deux députés pour un sénateur) la plus nombreuse, fût-elle très divisée, trouvera toujours dans la minorité de l’autre un appoint suffisant pour faire prévaloir le vœu de sa propre majorité. C’est donc la Chambre des députes en réalité qui fait le Président et, en tout cas, elle ne laissera jamais passer aucun nom qui n’ait et son assentiment et sa confiance.

Mais voici des dispositions auxquelles on peut supposer plus d’efficacité.

En premier lieu, le pouvoir présidentiel est conféré à titre irrévocable pour sept années. C’est une durée plus longue que celle d’une législature de la Chambre des députés, et qui ne