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dates un peu éloignées, mais c’est le privilège de ceux qui ont fait quelque chemin dans la vie de pouvoir remettre sous les yeux des générations nouvelles des choses qu’elles ignorent ou quelles oublient, et dont leur curiosité peut pourtant tirer quelque instruction profitable.


I

Qui dit république dit choix du chef de l’Etat par l’élection. C’est là ce que l’ancienne école aurait appelé l’essence même de la république. Or ce choix ne peut être évidemment exercé que de deux manières, soit par le suffrage populaire (direct ou à plusieurs degrés), soit par les assemblées législatives à des majorités et dans des conditions qui peuvent varier. Si l’on veut se faire une idée exacte des avantages et des inconvéniens que paraissent présenter l’un et l’autre systèmes, et les mettre en balance, on ne peut consulter de document plus instructif que le compte rendu de la discussion qui prépara la Constitution républicaine de 1818, aujourd’hui, oubliée et dont la durée fut si courte. Ce débat. — dont Tocqueville nous a raconté les incidens dans ses piquans Souvenirs, récemment publiés, — fut sérieux, animé, et fit honneur à ceux qui y prirent part. On y peut relever sur divers sujets de belles dissertations oratoires. C’était le goût du jour, que nous trouverions aujourd’hui un peu suranné. Tous les partis avaient alors une loi dans les principes, dont la pratique, je le crains, les a tous successivement désenchantés. Nous étions tous nourris et imbus, soit de Montesquieu et de l’Esprit des lois, soit de Rousseau et du Contrat social. Mais les républicains surtout portaient dans l’application de leurs doctrines un scrupule et une ferveur naïve dont leurs successeurs actuels ne nous donnent que faiblement l’idée. Jamais cette conscience ne fut mise à plus délicate épreuve que quand on en vint à l’article qui devait déterminer le mode électoral de la présidence. Entre les deux systèmes en présence, — l’élection par l’Assemblée et l’élection par le peuple, — la commission elle-même avait hésité longtemps avant de se décider pour le second ; et, une fois le débat engagé, il se trouva que des considérations d’une force égale étaient présentées par des orateurs d’égal renom à l’appui et à l’encontre des deux modes proposés ; des inconvéniens également graves et même des périls également menaçans étaient signalés à l’Assemblée, selon qu’elle suivrait l’une ou l’autre voie : de sorte que, placée en face de cette fâcheuse alternative, elle resta perplexe jusqu’à la dernière heure. Dans cette anxiété visible, c’était surtout un sentiment de douloureuse